À quoi sert l’aide alimentaire en France ?

Christine César, socio-anthropologue, étudie la manière dont évolue la fourniture de nourriture aux plus démunis en France, notamment à travers le don et le glanage dans les rebuts.

Christine César  • 9 avril 2009 abonné·es

En France, au moins 2 millions de personnes auraient recours aux circuits de l’aide alimentaire. Le rôle de ces dons est-il de nourrir les pauvres ? Le colis alimentaire représente-t-il une aide ou l’essentiel de la ration quotidienne ? Les réflexions présentées ici sont issues de deux études sur les pratiques alimentaires en situation de pauvreté en France. Il s’agit de l’étude pluridisciplinaire Abena, conduite en 2004-2005 auprès des personnes ayant recours à cette aide, afin de collecter notamment des données biologico-nutritionnelles [^2], accompagnée d’un volet qualitatif socio-anthropologique pour mieux appréhender les pratiques. Parmi elles, le glanage (dans les poubelles, notamment) a pu être exploré plus finement en 2009 lors d’une recherche récente réalisée pour le haut-commissariat aux Solidarités actives de lutte contre la pauvreté.
Le don de nourriture est attesté depuis l’Antiquité, mais la composition de l’offre et des publics cibles s’est transformée au fil des siècles pour s’écarter de plus en plus de la population générale et de l’alimentation commune [^3]. Les Trente Glorieuses ont réduit le nombre de publics concernés, mais l’apparition du chômage de masse et des processus de précarisation ont remis au goût du jour cette forme d’aide en nature. À côté de celle traditionnellement liée à l’univers confessionnel, les banques alimentaires se mettent en place (1984), les Restos du cœur s’organisent (1985), etc. Dans la France contemporaine, l’aide alimentaire n’est donc pas le fait d’un système contributif géré par l’État : il est du ressort de la société civile, des associations caritatives.

Cette architecture interroge l’imbrication des rôles des secteurs public et associatif d’autant que les associations « les plus puissantes investissent aujourd’hui le terrain de l’insertion au nom de la lutte contre l’exclusion et de la critique unanime de l’assistanat, disputant ainsi à l’État son rôle dans le maintien ou la restauration du lien social avec une vigueur inégalée depuis les grandes époques de la philanthropie [^4], P. Le Crom, J.-N. Retière, Mire, 2000) » . Or, la question de « qui doit nourrir les pauvres ? » se pose avec âpreté puisque la figure cardinale du « bénéficiaire » est majoritairement un allocataire d’un minimum social.

En France, le « colis » représente la forme majoritaire de l’aide – le repas ou l’épicerie sociale restent encore marginaux. L’énergie d’un colis moyen est évaluée à 800 calories. Il n’est donc pas possible d’assurer ses besoins quotidiens avec ce seul apport. Comme toutes les associations le reconnaissent, la vocation de ce don alimentaire est de constituer une « aide » qui devrait s’inscrire en complément d’autres apports. Aucune d’elles ne conçoit de soutenir des familles entières sur l’année. Or, le principal enseignement de l’étude Abena est de montrer que, pour nombre de familles, ce don constitue bien une part importante de leurs ressources alimentaires. Cette situation doit se comprendre au regard de l’architecture du budget des ménages pauvres, pour lesquels le loyer représente une part majeure alors que la nourriture devient la variable d’ajustement. L’état de santé s’en ressent, il est « très critique »  [^5] et les résultats biologico-nutritionnels sont inquiétants : 19 % des femmes sont anémiées ; nombreuses carences sévères en vitamines ; le surpoids et l’obésité y sont deux à trois fois plus fréquents (voir encadré)…
Si de rares « bénéficiaires » de l’aide alimentaire considèrent le fait d’ouvrir les poubelles pour y récupérer de la nourriture comme un retour salvateur à l’autonomie [^6], se pencher sur le glanage nous a livré une autre rationalité : ce qui n’est pas glané est incinéré, au coût de 110 euros la tonne pour la collectivité. Selon Achim Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement, «  plus de la moitié de la nourriture produite dans le monde aujourd’hui est soit perdue, gaspillée, ou jetée à cause d’insuffisances dans la gestion de la chaîne alimentaire » … Il y aurait là de quoi nourrir tout le monde !

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[^2]: « Consommations alimentaires et place de l’aide alimentaire chez les personnes incluses dans l’étude Abena », 2004-2005, C. Bellin-Lestienne, V. Deschamps, A. Noukpoapé, N. Darmon, S. Hercberg, K. Castetbon, Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) 11-12 :79-81

[^3]: « Faut-il nourrir les pauvres ? », A. Clément, Anthropology of Food, 2008, Manger pour vivre/Food and survival, 2008.

[^4]: Nourrir, vêtir, socio-histoire de la solidarité d’urgence à Nantes (1930-2000

[^5]: BEH 11-12 :77, éditorial, S. Hercberg, G. Brücker.

[^6]: « Stratégies d’approvisionnements et comportements alimentaires de familles recourant à l’aide alimentaire : le cas des multiglaneurs », C. César, Cahiers de nutrition et de diététique, n° spécial « Nutrition et précarité », 2006 ; C. César,

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Alimentation : Bien manger, manger tous
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