Du neuf chez Tati

Parmi d’autres hommages consacrés à Jacques Tati, la Cinémathèque
de Paris propose
un parcours jubilatoire dans l’univers du cinéaste.

Jean-Claude Renard  • 30 avril 2009 abonné·es

Ah, tiens, on remet Tati en route. Pourtant plus que centenaire, le bougre (1907-1982). Le Centquatre a remonté grandeur nature la fameuse turne de Mon Oncle , la villa Arpel, créée pour l’occasion en 1956, aux studios de la Victorine, dans l’encolure niçoise. Une bâtisse cubique de style Mallet-Stevens, clin d’œil ludique aux arts ménagers triomphant alors, cuisine robotisée comprise, tandis que Boris Vian, cette même année, claquait en musique l a Complainte du progrès . Et madame Arpel de briller en maîtresse de cérémonies jubilant dans le tout-électrique, entre un poisson cracheur selon la tête du client et la télécommande retorse du garage.

En termes d’hommages, cette reconstitution de la villa est une anti­chambre de l’exposition de la Cinémathèque française, outre la projection de ses films, « Jacques Tati, deux temps, trois mouvements ». Nom de baptême calé sur la gestuelle d’un amateur de tennis ( les Vacances de monsieur Hulot ), au jeu de jambes hésitant, saccadé, cycliste aussi ( Jour de fête ), en Solex souvent, mais aussi boxeur à l’occasion d’un court-métrage ahurissant ( Soigne ton gauche , 1936).

Conçue par Stéphane Goudet et Macha Makeïeff, l’exposition, foisonnante, se veut une virée dans la cosmogonie enchantée de Tati, entre palpable et visuel. Les objets d’abord (la raquette, le fameux imper, les curieux mobiliers, l’épuisette), puis des extraits de films, des affiches, ­d’autres éléments comme la correspondance (avec Pasolini), les dessins (Sempé, Etaix et Saul Steinberg), la photographie (Doisneau, Ronis et Cartier-Bresson) et la sculpture (César et Tinguely). Un arc-en-ciel de matières, de supports, qui dit la désobéissance du réalisateur, d’un anti-héros burlesque, autoproclamé « auteur et artisan », cador du pas de côté, marqué à la culotte par la modernité, ses torts, hasards et travers.

Ultime ingrédient dans ce concert d’honneurs, comme un gag de mauvais goût : les affiches de l’exposition, tirées de Mon Oncle , droit comme un piquet sur son Solex, diffusées par la RATP et la SNCF ont remplacé la pipe de père Hulot par un moulin à vent, au motif que l’image n’est pas raccord avec la loi Evin sur le tabac. Grotesque et ridicule. Simenon et Bogart n’ont qu’à bien se tenir. Cette pipe est la partie constitutive d’une identité. Pour les mêmes raisons du sanitairement correct, en 2005, la BNF avait déjà effacé le clope de Sartre sur une photo de Boris Lipnitzk. Là où il est, sans doute, Jacques Tati doit s’enfumer du rictus d’un pince-sans-rire.

Culture
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