La politique de l’oxymore*

Dominique Plihon  • 9 avril 2009 abonné·es

Ceux qui nous gouvernent sont des illusionnistes qui, en s’appuyant sur les médias, nous abusent en faisant le contraire de ce qu’ils annoncent à grand renfort de publicité. Ainsi, la défense du pouvoir d’achat est érigée en slogan de campagne électorale puis en objectif prioritaire du gouvernement. Mais quand la crise est là, qui touche en premier les bas revenus, c’est une relance « par l’offre » qui est orchestrée, c’est-à-dire la multiplication des aides et des exonérations de charges en direction des entreprises. Politique non seulement inéquitable, mais aussi contre-productive, puisque c’est d’un effondrement de la demande des ménages, lié à la déflation salariale, que souffre l’économie. De même, la « moralisation du capitalisme » est décidée face au scandale des patrons voyous qui se goinfrent de primes et de parachutes dorés. Mais le bouclier fiscal qui protège les grandes fortunes n’est pas remis en cause. Et le décret sur les bonus et les stock-options exonère la plupart des PDG du CAC 40 pour ne toucher que les patrons des quelques banques et entreprises ayant reçu des aides de l’État. Le Medef peut se rassurer, il n’est pas question de supprimer les stock-options ni d’imposer une limite aux rémunérations des patrons, ce qu’ont pourtant fait les autorités américaines et allemandes.

Allant crescendo, nos gouvernants proclament une « refondation du capitalisme mondial » à l’occasion du G20 de Londres, présenté comme historique. La fermeture des paradis fiscaux, jugés intolérables, est annoncée. Et l’on se retrouve avec un catalogue de mesures ronflantes mais molles, telles que la levée partielle du secret bancaire et la publication d’une liste de « paradis fiscaux non coopératifs ». Et nos autorités se gardent bien de s’attaquer aux principaux paradis fiscaux européens, à commencer par Monaco et le Luxembourg – ce dernier étant dirigé par le président de l’Eurogroupe, chargé de coordonner la politique économique européenne…

Sur le thème des migrations, les dirigeants européens ne sont pas à une contradiction près. Chantre de la mondialisation et de la liberté de circulation des personnes
à l’intérieur de ses frontières, l’Europe a érigé des remparts technologiques et policiers, se transformant en « forteresse » pour celles venant de l’extérieur . Continent des droits de l’homme, elle a vu des milliers de migrants mourir à ses frontières et met en danger l’un des droits les plus précieux : le droit d’asile. Pour donner à cette politique un nom respectable, on la qualifie de migrations choisies, alors qu’il s’agit d’une politique migratoire sélective, fondée sur la contrainte.

Dernier exemple de cette politique de l’oxymore (la liste pourrait être beaucoup plus longue), qui n’est pas le moins inquiétant : la question écologique, présentée comme l’ardente obligation de ce début de XXIe siècle, Grenelle de l’environnement à l’appui. Or, la plupart des cent mesures du plan Fillon de relance consistent à accélérer la construction d’autoroutes et à bétonner le pays, tout en affirmant que l’objectif de croissance à tout prix (rapport Attali pour une croissance forte oblige) est la seule voie pour sortir la France de la crise. Le salut viendra du « capitalisme vert », autre splendide oxymore !
Cette utilisation massive des oxymores – qui consistent à fusionner deux réalités contradictoires – remplit trois fonctions pour le pouvoir politique. C’est d’abord une technique éprouvée pour occuper l’espace médiatique, avec l’aide d’organes de presse souvent complaisants, voire complices, en exhibant à coup de gesticulations des objectifs mirifiques qui suscitent le débat. C’est ensuite un moyen de neutraliser l’opposition en la doublant sur sa gauche (pouvoir d’achat) ou sur sa droite (migrations). C’est enfin, ce qui est le plus grave, une stratégie destinée à « enfumer » les citoyens, en s’attaquant à leur univers mental et en jouant avec leurs rêves. Ceux qui gouvernent ainsi font preuve d’un cynisme et d’un mépris profonds des citoyens. L’art de gouverner se confond avec celui de manipuler. La politique et la démocratie en sortent dévalorisées…

* Titre de l’excellent livre de Bertrand Méheust publié à La Découverte en 2009.

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