La tragédie des Tamouls

Alors que l’armée sri-lankaise tente de porter le coup de grâce à la guérilla tamoule au nord-est du pays, la population civile paie un lourd tribut à son rêve d’indépendance.

Alain Lormon  • 30 avril 2009 abonné·es
La tragédie des Tamouls

Acculés dans un réduit de quelques kilomètres carrés, autour de Chalai et de Kilinocchi, au nord-est de l’île de Sri Lanka, les Tigres tamouls livrent peut-être leur dernier combat contre l’armée sri-lankaise. Sous la pression internationale, le gouvernement de Colombo a certes annoncé lundi qu’il ralentirait ses offensives militaires, qui ont fait 6 500 victimes depuis le mois de janvier, selon un chiffre de l’ONU, mais on est loin du cessez-le-feu demandé par les capitales occidentales.

Le gouvernement a tout juste ordonné à ses forces armées de « cesser d’avoir recours aux armes de gros calibre, avions de combat et bombardements aériens » dans leurs opérations contre les Tigres tamouls, mouvement séparatiste en conflit armé depuis trente-sept ans. Les opérations militaires n’avaient pourtant pas cessé lundi en début de soirée. La guérilla tamoule était toujours acculée sur une bande côtière de 10 km2 au nord-est du pays avec quelque 50 000 civils pris au piège. Selon les autorités, 15 000 de ces civils serviraient de bouclier humain. Mais on sait que ce discours est au centre de la communication gouvernementale, qui tente ainsi de se disculper des nombreuses victimes civiles causées par son offensive. D’après le porte-parole des Tigres, Seevaratnam Puleethevan, les insurgés et les civils essuyaient toujours des attaques aériennes à l’arme lourde. Le cessez-le-feu proclamé dimanche par les Tigres tamouls était donc caduc. Selon les mots mêmes du secrétaire à la Défense sri-lankais, Gotabhaya Rajapakse, frère cadet du président, Mahinda Rajapakse, le gouvernement a interprété ce cessez-le-feu comme « une blague ».

Au cours du week-end, la violence des combats a fini par attirer l’attention de la communauté internationale. Le responsable des affaires humanitaires aux Nations unies, John Holmes, est arrivé lundi à Colombo. Il s’est entretenu avec le président Rajapakse. À l’issue de cette entrevue, il a réclamé une « pause humanitaire pour faire entrer les travailleurs humanitaires dans la zone de conflit » . Mais la zone des combats demeurait lundi totalement inaccessible aux ONG. John Holmes n’a pas obtenu le feu vert de son interlocuteur pour l’envoi d’une équipe humanitaire de l’ONU, comme l’avait souhaité Ban Ki-moon, secrétaire général de l’organisation, dont il était l’émissaire.
Les ministres des Affaires étrangères français et britannique, Bernard Kouchner et David Miliband, probablement accompagnés de leur homologue suédois, Carl Bildt, devaient se rendre sur l’île mercredi. Le chef de la diplomatie française « vérifiera la mise place de l’hôpital de ­campagne qui devait être opérationnel à compter de lundi » , selon le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Bruno Le Maire. La France avait en effet annoncé samedi l’envoi d’une unité d’intervention sanitaire de 71 personnes, équipée de 30 tonnes de matériel, de lits d’hospitalisation et de blocs opératoires.

Mais, lundi soir, l’impasse semblait totale. Face à l’intransigeance des autorités, qui exigeaient la reddition complète et sans condition des insurgés, les Tigres ont répété leur détermination à poursuivre la lutte armée. Le gouvernement sri-lankais avait lancé l’assaut en janvier dernier, espérant porter un coup fatal à l’organisation séparatiste. 6 500 morts et 14 000 blessés plus tard, la résistance tamoule n’a toujours pas cédé. Mais, le 20 avril, les populations civiles ont entamé un exode pour fuir les combats. Plus de 100 000 personnes, selon l’ONU, ont réussi à quitter le nord-est du pays, aujourd’hui dévasté.

Dans cette région du monde comme dans beaucoup d’autres, on comprend difficilement l’actualité si l’on ne remonte pas à la période coloniale. Longtemps soutenues et privilégiées par le colonisateur britannique, les élites tamoules hindouistes ont, au moment de l’indépendance, en 1948, payé le prix de cette collaboration. D’autant plus qu’avec 18 % de la population les Tamouls se sont trouvés dans la position d’une minorité dominée par la majorité cinghalaise bouddhiste. À la suite de pogroms dont ils ont été les victimes peu après l’indépendance, les Tamouls ont pris les armes et créé en 1976 une armée de guérilla. Mais les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), d’abord auréolés du prestige de la résistance, ont eu tôt fait d’exercer sur la population civile un pouvoir autoritaire sans partage. Leur organisation militaire est devenue d’autant plus redoutable qu’elle disposait d’une sorte de sanctuaire dans l’état du Tamil Nadu, situé au sud-est de l’Inde. Cela, malgré la position ambiguë du ­gouvernement indien, qui ne s’est jamais engagé dans le soutien à un état tamoul au Sri Lanka.

C’est à partir de 1983 que la confrontation entre le LTTE et l’armée sri-lankaise défendant la majorité cinghalaise a véritablement tourné à la guerre civile. La situation a été rendue plus complexe encore par la terrible répression qui a frappé à partir de 1987 une insurrection d’extrême gauche, dans la partie sud de l’île. On a estimé à 20 000 le nombre des victimes de ce soulèvement, qui n’était pas lié à la question tamoule. En 2002, le Front national uni (parti libéral), au pouvoir à Colombo, propose au LTTE un cessez-le-feu. Celui-ci est respecté pendant deux ans. Au cours de cette période, la doctrine des Tigres évolue d’une revendication séparatiste vers une solution d’autonomie dans un cadre fédéral.

Mais, en novembre 2005, la victoire électorale de l’actuel président, Mahinda Rajapakse, hostile aux négociations, sonne le glas de l’hypothèse fédérale. Ironie du sort, ce sont sans doute les Tigres tamouls qui ont contribué à porter au pouvoir leur futur bourreau en appelant à boycotter un scrutin qui a été extrêmement serré. L’assassinat du ministre des Affaires étrangères sri-lankais, sans doute par le LTTE, a fini de radicaliser la population cinghalaise contre les Tamouls. Parallèlement, l’isolement international des Tigres, aggravé par plusieurs défections dans les rangs de ses dirigeants, a affaibli le mouvement. Mais c’est peut-être finalement le tsunami de décembre 2004 qui aura porté le coup de grâce à tout espoir d’issue pacifique à cet interminable conflit. Le raz-de-marée a causé la mort de plus de 38 000 personnes. La bataille pour l’appropriation de l’aide internationale a ensuite déchiré un peu plus le fragile tissu d’une petite nation qui n’est jamais parvenue à réaliser son unité après la période coloniale.

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