Le parti d’en rire

Déportée à Ravensbrück, Germaine Tillion y a écrit une opérette furieusement drôle. Une façon de résister à la barbarie nazie.

Jean-Claude Renard  • 16 avril 2009 abonné·es

Ravensbrück a été essentiellement un camp de femmes. Entre 1939 et 1945, 130 000 y ont été déportées, à côté de 20 000 hommes, regroupés dans une enceinte séparée. Seules 10 000 personnes ont survécu. Parmi elles, Germaine Tillion, ethnologue, résistante. Déportée en octobre 1943. «  J’ai senti ce que probablement sentent les animaux quand on les amène à l’abattoir. Quelque chose d’analogue. Le sentiment qu’on arrive à la mort », se souvient-elle ici, filmée avant sa mort, en avril 2008. Ravensbrück, c’est aussi le lieu, et le moment où l’ethnologue a choisi d’écrire une « opérette revue » en trois actes, assurément l’un des textes les plus surprenants extirpés des camps de la mort, titrée l e Verfügbar aux enfers . L’un des plus drôles aussi, dont le titre renvoie à une maigre bestiole, façon ver de terre, composé d’un tube digestif, qui renvoie également à Orphée aux enfers.
Rédigé dans la clandestinité, en une dizaine de jours, le texte se déploie dans un pêle-mêle de chansons, avec des airs populaires, des chansons de scouts, des airs de réclames entendus dans l’entre-deux-guerres, d’autres chansons encore écrites par les déportées « pour marcher au pas » , sur le ton de la rigolade. « Même dans les situations les plus tragiques, on peut rire jusqu’à la dernière minute » , observe encore Germaine Tillion.

En 2007, à l’occasion de son centenaire, le théâtre du Châtelet a représenté pour la première fois cette opérette virevoltante, mise en scène par Bérénice Collet. Pour la première fois seulement parce que son auteur craignait d’être incomprise du lectorat et du public. Le réalisateur David Unger a entremêlé ici des extraits de l’opérette, le témoignage de déportées de Ravensbrück, et celui de Germaine Tillion, où l’on saisit vite combien le Verfügbar aux enfers se veut une construction mentale pour survivre dans un camp où la mort est omniprésente. C’est donc là une écriture du tragique au service du comique. Qui ne manque pas de verve, de noirceur hilare : « Ne cherchez pas les coups, ils viendront bien tout seuls/Inutile de courir pour se faire casser la gueule/On s’en fout des torgnoles/On s’en fout si on rigole un coup. » L’ensemble du livret tend ainsi vers une même obsession, une obligation : résister, persuadé « qu’il vaut mieux mourir debout que vivre à genoux ».

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