Tromperies sur les chiffres

Si les statistiques témoignent d’une augmentation des réfugiés en France, ils dissimulent les pratiques qui visent à éradiquer les demandes.

Jean-Claude Renard  • 16 avril 2009 abonné·es
Tromperies sur les chiffres

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a rendu son nouveau rapport. En 2008, le nombre de personnes « protégées » a été de 11 441, bénéficiant d’un statut de réfugié reconnu. Une hausse de 30,2 % par rapport à 2007 (avec 8 781 personnes ayant accédé au statut). Les principaux demandeurs sont russes, serbes, maliens, sri-lankais, turcs, congolais, guinéens, haïtiens, mauritaniens et comoriens (pour le Mali et la Guinée Conakry, la demande d’asile, exponentielle, se lie aux risques d’excision dans ces pays).

À côté du nombre de « nouveaux » réfugiés, beaucoup de victimes de persécution restent encore sans assistance. Pour Amnesty International, réitérant ses recommandations, « il est impératif d’apporter une véritable protection aux personnes en danger et de s’assurer qu’elles ne courent aucun risque en cas de renvoi dans leur pays ». Et l’organisation de rappeler quelques réalités, au-delà des chiffres.
En 2008, la France a largement entravé l’accès à son territoire pour des personnes tâchant d’échapper aux dangers qui les menacent dans leur pays d’origine. À titre d’exemple : un millier de Tchétchènes ont sollicité l’asile à la frontière fin 2007. Aussitôt, la France a imposé des visas de transit aéroportuaire, en ciblant judicieusement et exclusivement les aéroports de provenance de ces personnes (Ukraine, Moldavie, Turquie, Biélorussie), rendant ainsi pratiquement impossible l’accès à la protection de la France. Pour éviter l’asile, il s’agit purement de supprimer les demandes. Et donc les gens susceptibles d’avoir ce culot. Au reste, le nombre des premières demandes d’asile a bel et bien chuté ces dernières années : 52 204 en 2003. Puis 26 269 trois ans plus tard. Et 23 804 en 2007.

Autre réalité préoccupante : la France néglige sa liste de pays d’origine « sûrs » [[Liste comprenant notamment le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, la Géorgie,
le Ghana, l’Inde, Madagascar, le Mali, la Mongolie,
la Macédoine, ou encore l’Ukraine, le Sénégal
et la Tanzanie]])., tout en affirmant le contraire au commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, déclarant même qu’ « un suivi vigilant et permanent de la liste est assuré » . Le recours à cette liste de pays estimés veiller « au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » permet d’accélérer l’examen des demandes d’asile pour certaines nationalités. Cela permet aussi de priver de leurs droits les demandeurs concernés, de favoriser leur renvoi dans le cas d’un rejet. Depuis 2005, la liste n’a guère évolué, malgré la dégradation évidente de la situation des droits humains dans certains pays (comme la Géorgie ou Madagascar).
Une dernière observation pour enfoncer le clou sur des chiffres trompeurs : en 2007, la France avait recommandé que l’Union européenne retienne « le principe d’un recours qui soit systématiquement juridictionnel et suspensif » , de sorte à éviter aux demandeurs d’asile un renvoi dans leur pays avant la fin de leur procédure. Pour cette année 2008, 17 % du total des demandes (soit 5 793 personnes) n’ont pas bénéficié de cette garantie fondamentale. Cela correspond aussi à une politique du chiffre.

Société
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