Des pages d’Histoire

Le feuilleton « Un village français » dessine le quotidien sous l’Occupation. Un sujet dont s’est emparé Alain Ade pour en écrire le roman.

Jean-Claude Renard  • 28 mai 2009 abonné·es

C’est d’abord une affaire de débâcle. Débâcle plurielle. Militaire, bien sûr. Morale, physique, sociale. Humaine. Un village français s’ouvre sur l’invasion allemande dans le Jura, à Villeneuve, bourgade imaginaire, en 1940, dans son décor classique. La vie des uns et des autres, notables, ouvriers, paysans, des individus ordinaires. L’Occupation, vécue de façon presque inattendue, va secouer le village, le plonger dans le sauve-qui-peut. Dès les premières heures, se dessinent les figures de justes et de salauds, les réfractaires à l’ordre, les premiers résistants, les planqués et demi-planqués. Le sous-titre de la fiction, « 1940, vivre c’est choisir », donne les clés d’une histoire délimitée par la ligne de démarcation.
En six épisodes plus ou moins dynamiques, cette fiction se veut un portrait réaliste de la France en 1940, vue à travers le bout de la lorgnette jurassienne, non sans certains clichés, l’un n’empêchant pas l’autre. Le saboteur, le médecin héroïque dans le bazar ambiant, le jeune frais et fringant prédisposé à collaborer, les propices à la soumission, parce qu’il faut bien que les affaires tournent, les mômes victimes de l’universelle vacherie, des règles imposées par l’Occupant, des institutrices qui font au mieux, rattrapées par des institutions appliquant les premières lois antijuives, et puis la guerre, forcément, qui porte aux ovaires.

Réalisé par Philippe Triboit sur un scénario de Frédéric Krivine, interprété remarquablement, notamment par Robin Renucci et Nade Dieu, Un village français évite tout manichéisme, les saints d’un côté, les gouapes infectes de l’autre, pour brosser un portrait plus nuancé, habité de personnages quelconques pris dans une tourmente qui les dépasse. Affaire d’ambivalences, de contradictions, d’accommodations avec la réalité du temps.

S’emparant du film, ou plutôt du scénario, écrivain, Alain Ade a couché sur le papier la forme romanesque de ce Village français . Non pas une adaptation, mais une novélisation. Exercice de style qui naît d’un squelette pour aboutir à un livre charnu et foisonnant. « Un scénario est une continuité dialoguée avec, pour chaque scène, des indications concernant l’action, le lieu où elle se déroule et le ressenti des personnages, explique Alain Ade. Tout cela est comparable aux didascalies d’une pièce de théâtre. » Quant à la nature profonde des personnages et à la véracité de leur comportement « tout y est “en creux” » . Même le point de vue du scénariste sur la période concernée n’est jamais écrit noir sur blanc. « Une novélisation n’a pas à interpréter ce point de vue, ce serait une forme de trahison. Si le romancier n’a pas la même vision, surtout en ce qui concerne les séries historiques, mieux vaut refuser d’écrire le roman. »

Mais le scénario reste une ossature, une charpente. « Le scénario est un écorché, il faut lui donner du ­muscle, de la peau, des poils et même des neurones. De la même manière que le réalisateur choisit les comédiens, détermine ses valeurs de plans ou décide de la nature du montage, le romancier remplit les ellipses en allant chercher dans la tête des personnages ce qui les taraude, ce qui fera du livre soit un robinet d’eau tiède, soit un bain de jouvence avec palpitations affectives, voire érotiques. Gravité de la période ou pas, destin tragique des personnages ou pas, la lecture doit être gourmande, jamais rassasiée. »

Dans tous les cas, l’écriture oscille entre l’exercice libre et imposé. « Le romancier n’a pas droit de vie ou de mort sur des personnages qui ne sont pas siens, observe Alain Ade. Mais sa liberté, c’est le style. Il n’a pas le même rapport au temps que le scénariste. Les ruptures temporelles à la télévision, dans le cas d’une série diffusée pendant plusieurs semaines, sont plus facilement admises. Parce que le média crée un rapport d’infidélité. Entre deux épisodes, il peut s’écouler une semaine. Pendant ce temps, le téléspectateur aura été sollicité par cent autres fictions. Le lecteur n’aura jamais eu cent livres entre les mains en sept jours. Si le roman lui plaît, il y reviendra de façon plus naturelle, voire le lira d’une seule traite, mais il sera plus exigeant sur la logique narrative. »

La fiction se clôt sur la fin de l’année 1940. Sans attendre un résultat d’audience, France 3 prépare une suite. La force du sujet, conclut Alain Ade, « c’est qu’on a envie de savoir ce qui va arriver aux personnages à l’aune des bouleversements que la période égrène : l’Occupation, la Résistance, la déportation, la Libération ».

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