Histoire en images

À travers une quarantaine de films et de nombreux témoignages, Raphaël Nadjari retrace le parcours du cinéma israélien.

Jean-Claude Renard  • 14 mai 2009 abonné·es

À quelques années près, le cinéma israélien naît avec l’avènement du parlant. Le premier film est signé Nathan Axelrod, Oded hanoded (Oded l’errant) , tourné en 1933. Il préfigure une longue série de films de propagande, comme Avoda (1935), exaltant le sionisme et sa capacité à forger un homme nouveau sur la terre d’Israël. Il se veut héroïque, bâtisseur, sans plus attendre le salut de Dieu mais prenant en main son destin et celui de son peuple. L’utopie nationaliste des pionniers s’inspire alors du cinéma révolutionnaire soviétique.

Cette première période s’étire jusqu’au début des années 1960, marquées par deux films essentiels : Un trou dans la lune , d’Uri Zohar, et Sallah Shabati , d’Efraïm Kishon. Le film de Zohar, perle d’audace politique et formelle, annonce la naissance de la « nouvelle sensibilité », influencée par la Nouvelle Vague française, développant une thématique existentialiste centrée sur l’individu, son aliénation, sa solitude dans la grande ville, en réaction au cinéma sioniste, à son nationalisme et à son collectivisme. Parallèlement, le film de Kishon, grand succès public, conquérant même Hollywood, se veut une comédie populaire, annonçant l’émergence du cinéma commercial dit « bourekas » (du nom d’un friand gras et savoureux), un genre divertissant, dévoué à la représentation souvent caricaturale de la population séfarade en Israël.
Dans le second volet de ce documentaire, on observe combien le cinéma israélien des années 1980 se dresse contre l’État. Khirbet Hiza’a, de Ram Loevy (1978), censuré durant quatre ans, livrant la guerre de 1948 du point de vue palestinien, avait donné le coup d’envoi. Dans une société de plus en plus divisée, où les espoirs de paix s’éloignent, l’image se glisse alors sur le terrain de l’intime (à valeur universelle), recueille la voix des minorités. Place à l’homosexualité, à l’oppression des femmes, au poids de la famille et de la religion, au chaos des sentiments. Soit la parole de la diversité du pays. Et dans cette deuxième partie, la place au cinéma de femmes en Israël se veut prépondérante (avec les témoignages de Mihal Bat-Adam, Ronit Elkabetz et Keren Yedaya), tentant de sortir de la présence ­écrasante des hommes, qui pourrait s’expliquer par la nécessité de cultiver le mythe militaire.

Raphaël Nadjari (né en France, en 1971) s’était illustré (notamment à Cannes) avec The Shade (1999), Apartment 5C (2002), Avanim (2004) et Tehilim (2007). Quittant la fiction pour le documentaire, il livre là une histoire du cinéma israélien, en écartant le commentaire en voix off, en illustrant son sujet par des extraits d’une quarantaine de films, et en laissant la parole à une foule de témoins, de critiques, d’universitaires et de spécialistes. Les historiens Nurit Gretz, Ariel Schweitzer, Nahman Ingbar ; les cinéastes Avi Mograbi (également acteur), Moshe Mizrahi, Yehuda Ne’eman, Renen Schorr, Nissim Dayan, Menahem Golan (également producteur), Eitan Green ou encore Amos Gitai ; les comédiens Salim Dau et Moshe Ivgy. La matière nécessaire à un récit très riche, qui permet de ­saisir comment, dans la succession de traumatismes et d’événements, entre la Shoah, les guerres israélo-arabes, les vagues d’immigration ou la défaite du socialisme fondateur, ce cinéma est passé de l’affirmation d’une identité contestée à sa permanente remise en cause.
Il n’y a donc pas une histoire du cinéma israélien mais des histoires.

En fait, souligne le réalisateur, « chaque période annonce la suivante et crée la possibilité d’un dialogue avec différentes couches de la société et ce malgré la violence et les guerres. Il n’y a pas de petites ou de grandes périodes du cinéma israélien car elles procèdent toutes du besoin de définir ce que doit être le cinéma lui-même, c’est-à-dire un modèle d’analyse. […] C’est un cinéma puissant parce qu’il pose en permanence la question de la fonction du cinéma en tant que récit collectif, national, tout en étant conscient de la nécessité de se défaire de sa mission idéologique, didactique. Le cinéma israélien veut faire partie de l’humanisme, conclut Raphaël Nadjari, e t c’est son fardeau, son égarement, mais aussi la puissance de sa recherche. Il faut qu’il reste en mouvement, sinon, il redeviendrait idéologique. »

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