Homme à femmes et femme à barbe

La magie de « Liliom », de Ferenc Molnar,
et un étrange
« Éloge du poil »,
de Jeanne Mordoj.

Gilles Costaz  • 14 mai 2009 abonné·es

Sans doute parce qu’il est issu des grandes fêtes populaires, le théâtre se souvient beaucoup, ces temps-ci, des fêtes foraines. Après la tourbillonnante mise en scène de Casimir et Caroline, d’Horvath, montée par Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville (actuellement en tournée), voici Liliom , de Ferenc Molnar, qui, créé au Nouveau ­Théâtre d’Angers, s’installe à Montreuil, et le spectacle d’une étrange contorsionniste, Éloge du poil, au théâtre de la Bastille.
Liliom
est une sorte de classique qu’on ne voit pas souvent et en même temps un mythe, parce que le cinéma (et surtout Fritz Lang) s’en est emparé voluptueusement. En 1909, le Hongrois Molnar imaginait les aventures d’un homme à femmes paresseux, indécis, qui fascinait la clientèle féminine des luna-parks et dont la pièce conte la vie en deux temps. Toujours sans le sou, ce jeune homme tente un mauvais coup et, le ratant, se donne la mort. Il se retrouve dans l’au-delà, où on lui donne le droit de revenir sur Terre, treize ans plus tard, juste un instant, pour voir l’amie qu’il délaissait autrefois et la fille née de leur union…
Le spectacle qu’a mis en scène très subtilement Frédéric Bélier-Garcia a du mal à trouver sa carburation. Cette séduisante atmosphère de baraques et de pistes de danse foraines, où se mêlent l’atmosphère de la première moitié du XIXe siècle et quelque chose des foires du Trône d’aujourd’hui, semble souffrir d’immobilité. Sans doute parce que Molnar lui-même, comme le rappelle Bélier-Garcia, parlait d’ « odyssée statique » . Rien n’est pressé, rien n’est urgent dans ce drame. La tragédie arrivera bien quand il le faudra ! Passé ce sentiment d’immobilité, la soirée devient belle et envoûtante. Car la mise en scène joue avec toute la rouerie grave de ce mélo qui déploie ses complaintes lancinantes et dit à la fois l’amour et l’impossibilité d’aimer.

Agathe Molière incarne la femme délaissée avec un talent émotif magnifique. Rasha Bukvic est un Liliom qui sait donner à sa nonchalance sa douleur dangereuse. Stéphane Roger, Agnès Pontier, Teresa Ovidio et leurs partenaires donnent une belle intensité à ce fort condensé de réel et d’irréel.
Place à la femme à barbe à la Bastille ! La barbe que porte Jeanne Mordoj est fausse, bien entendu, mais ce qui est vrai c’est qu’elle a écrit et conçu elle-même cet Éloge du poil avec la collaboration, pour l’écriture et la mise en scène, de Pierre Meunier. Si le titre sonne comme une plaisanterie, c’est bizarrement vers la noirceur et l’idée de la disparition que se dirige peu à peu ce numéro de cirque inhabituel.
Jeanne Mordoj attrape des coquilles d’escargot avec ses pieds et les projette dans la cuvette qu’elle a placée sur sa tête, dialogue en ventriloque avec deux crânes d’animaux… Elle s’enterre enfin comme pour saluer l’héroïne d’ Oh les beaux jours de Beckett en évoquant une charogne qui pourrait être celle de Baudelaire. Ancienne contorsionniste, elle crée mieux les gestes et les climats que les mots. Mais elle surprend parce qu’elle ne ressemble à personne.

Tél. : 01 48 70 48 90. Jusqu’au 18 mai.
Éloge du poil, théâtre de la Bastille, Paris.
Tél. : 01 43 57 42 14. Jusqu’au 31 mai.

Culture
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