Stéphane Hessel : « Impossible de laisser Israël impuni »

Stéphane Hessel, ambassadeur de France, travaille actuellement à l’installation d’un tribunal international chargé de juger symboliquement les crimes d’Israël.

Denis Sieffert  • 7 mai 2009 abonné·es
Stéphane Hessel : « Impossible de laisser Israël impuni »

Politis : Pouvez-vous nous expliquer le sens de votre démarche  ?

Stéphane Hessel : Nous sommes en relation depuis plus d’un an avec l’ancien sénateur belge Pierre Galand, qui a pris l’initiative de réunir des personnalités du monde entier pour faire vis-à-vis de la Palestine ce que Jean-Paul Sartre et quelques autres avaient fait vis-à-vis du Vietnam il y a maintenant quarante-quatre ans. C’est-à-dire réunir des juristes et des personnalités politiques qui pourraient établir un certain nombre de violations du droit international de la part des parties au conflit israélo-palestinien. Il ne s’agirait d’ailleurs pas seulement de dirigeants ou de généraux israéliens, mais aussi des États-Unis, qui n’ont pris aucune mesure pour sanctionner leur allié, et des Européens, qui ne sont pas intervenus comme ils auraient dû puisqu’ils sont membres non seulement des Nations unies mais signataires des Conventions de Genève [^2].

Comment fonctionnerait ce tribunal ?

Il s’agira d’un tribunal d’honneur sans autorité juridictionnelle. Mais nous pensons que, si tous les éléments sont réunis, il pourrait y avoir dans une capitale ou une grande ville européenne une première session dès le début de 2010. Barcelone a été évoquée. Pour l’instant, c’est à Bruxelles qu’une réunion préliminaire s’est tenue en mars. Nous avons essayé de préciser deux choses : qui va siéger au sein du tribunal lui-même, et qui parrainera ce tribunal. Pour ce qui est du parrainage, des personnalités comme le cinéaste britannique Ken Loach, l’ancien secrétaire national des Nations unies Boutros Boutros-Ghali, le journaliste Jean-François Kahn, l’écrivain François Maspero ont déjà accepté de soutenir notre démarche. Quant au tribunal lui-même, nous voudrions que figurent des juristes et des personnalités politiques représentatifs des quatorze pays où il y a déjà un commencement de commission nationale. Le projet est d’établir d’ici à la fin de cette année un premier constat de violations flagrantes des Droits de l’homme et des conventions de Genève. Le but est de sortir avec une condamnation rédigée en termes juridiques. Nous aurons aussi à établir que l’Union européenne n’a pas tenu compte des clauses qui figurent dans le contrat d’association qui la lie à Israël et qui se réfère explicitement au respect des Droits de l’homme. Au passage, vous aurez noté que le Parlement européen vient d’obtenir non pas la suspension du contrat d’association mais le rejet de son élargissement.

Il était prévu que vous vous rendiez en mission à Gaza au mois d’avril. Vous n’avez pas obtenu l’autorisation d’Israël. Comment allez-vous établir les faits nécessaires à votre tribunal, l’instruction en quelque sorte ?

Nous comptons surtout sur des rapports déjà existants réalisés par des organisations qui ont pu travailler sur place. Nous disposons déjà d’un certain nombre de documents très forts, provenant en particulier de l’association israélienne B’Tsélem. À partir de ces rapports, nous espérons pouvoir saisir le Tribunal pénal international de La Haye. Le procureur Luis-Moreno Ocampo est déjà au courant de notre démarche. Je vous rappelle que c’est le TPI qui a condamné en juillet 2004 le mur construit par Israël en territoire palestinien. L’association La Voix de l’enfant, parrainée notamment par l’actrice Carole Bouquet, est aussi capable d’ores et déjà de démontrer que les Israéliens ont commis, pendant leur opération sur Gaza, beaucoup d’infractions aux Droits de l’enfant.

Pour évoquer ce conflit d’une façon plus générale, vous qui le suivez depuis si longtemps, quel est votre sentiment sur la situation actuelle ?

Je suis fondamentalement pessimiste sur la possibilité d’une solution dans l’année qui vient. Cela parce que le gouvernement israélien sorti des urnes n’est pas un partenaire avec lequel on peut progresser, et aussi parce que les Palestiniens sont divisés. Mais en face il y a Obama, qui a nettement le désir de trouver une solution, et beaucoup dépend de la vigueur avec laquelle il va attaquer le problème. S’il a le sentiment que, dans le cadre de sa politique moyen-orientale, il faut exercer une pression forte sur Israël, les choses peuvent changer. Quoi qu’il en soit, tout le monde comprend qu’après Gaza, il est impossible de laisser Israël impuni. Il est impensable pour tout État honorable qu’un État membre des Nations unies se comporte de façon aussi contraire au droit international.

[^2]: On appelle Conventions de Genève quatre traités internationaux, ratifiés le 12 août 1949, définissant des règles de protection des personnes en cas de conflit armé, notamment les blessés et prisonniers de guerre, mais aussi les civils et leurs biens.

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