Crise : le pire est à venir

Michel Husson  • 25 juin 2009
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2009 va être une année terrible, mais ça repart en 2010 : tel est le consensus officiel. Toujours à l’affût du scoop, beaucoup de journalistes s’empressent de monter en épingle le moindre signe de frémissement : la production industrielle ne baisse presque plus au Royaume-Uni ; les emplois détruits aux États-Unis ont été moins nombreux que prévu au mois de mai, etc. Il arrivera bien un moment où l’on touchera le fond et où l’économie finira par redémarrer. Mais dans quel état ?
La reprise n’effacera pas la récession. Elle sera lente et hésitante et aura probablement une forme en W, avec un redémarrage tiré par les plans de relance, puis un nouvel enfoncement dans une croissance molle. Ce pronostic s’appuie sur quelques idées simples. D’abord, le système financier n’est pas nettoyé. Selon la BCE, « les risques pour la stabilité financière restent élevés  […], il y a eu une hausse significative des prévisions de dépréciations potentielles et de pertes que les banques vont devoir absorber » . Le FMI, encore plus pessimiste, évalue à 904 milliards de dollars les dépréciations d’actifs des banques européennes jusqu’en 2010, contre « seulement » 649 milliards de dollars pour la BCE. Et il exhorte l’Europe à « prendre de nouvelles mesures, en particulier dans le secteur financier ». En Europe, la quasi-faillite des pays de l’Est menace les engagements bancaires, par exemple. On peut donc énoncer une sorte de théorème : la durée nécessaire pour assainir la finance sera inversement proportionnelle au degré de nationalisation des banques et des institutions financières concernées.

Au-delà de la finance, les moteurs de l’économie mondiale ne peuvent pas repartir sur le même régime (ou alors on n’a rien compris à la crise) : aux États-Unis, les ménages ne vont pas se lancer dans une nouvelle fuite en avant dans le surendettement ; le modèle chinois est appelé à se recentrer ; et l’Europe sortira de la récession encore plus désarticulée et incapable de mener une politique coordonnée.
De toute façon, on ne sort pas indemne d’une crise. La reprise n’en efface pas instantanément les effets, qui laisseront un triple héritage : un taux de chômage très élevé, un endettement public accru et un taux de profit en baisse.
Pour que le capitalisme retrouve un fonctionnement « normal », il faudrait donc qu’il réussisse à rétablir la rentabilité et à résorber le déficit, tout en faisant reculer le chômage (au moins un peu).
Ces trois objectifs sont manifestement incompatibles. La productivité du travail baisse presque autant que l’activité économique et fait chuter la rentabilité des entreprises. Son rétablissement équivaut à un fort potentiel de nouvelles destructions d’emplois qui interviendront de manière décalée : c’est ce que reconnaît Dominique Strauss-Kahn, qui évoque un « pic du chômage au début de 2011 ». La reprise se fera au mieux sans embauches, et le taux de chômage restera à un niveau élevé : emploi et rentabilité sont durablement en opposition de phase.

Pour réduire les déficits, on pourrait imaginer une réforme fiscale contribuant à une répartition plus juste des revenus. Mais c’est évidemment une autre voie qui sera privilégiée, qui passe par de nouvelles coupes dans les budgets sociaux. Il est donc rigoureusement impossible, durant une longue période, d’améliorer la compétitivité et la rentabilité tout en recommençant à créer des emplois, ou encore de relancer la demande tout en réduisant les dépenses publiques.
Une mission du FMI vient de rendre son rapport sur les politiques mises en œuvre dans la zone euro. Voici ce qu’elle écrit : « Les mesures prises pour soutenir la réduction de la durée de travail et l’augmentation des avantages sociaux – aussi importantes qu’elles soient pour accroître les revenus et maintenir la main-d’œuvre sur le marché du travail – devraient être intrinsèquement réversibles. » Il faut méditer cette terrible sentence pour bien comprendre que la longue période de « sortie de crise » représentera une nouvelle croisée des chemins : à la violence sociale accrue et annoncée d’un ultralibéralisme autoritaire, il faudra opposer un véritable projet de transformation sociale.

Michel Husson est membre du conseil scientifique d’Attac.

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