Stéphane Guillon, franc-tireur des petits matins

De la scène à la radio, Stéphane Guillon a fait de l’humour noir un métier. Avec un ton corrosif et incisif qui ne loupe personne et agace beaucoup.

Jean-Claude Renard  • 18 juin 2009 abonné·es

Franc-tireur de bonne heure. Stéphane Guillon assure une chronique les lundis, mardis et mercredis dans la matinale de France Inter, vers 7 h 55. Une chronique qui porte sur l’invité du jour, ou colle au plus près de l’actualité. L’eau dans le gaz ou l’huile sur le feu, et par qui le scandale est revenu, c’est un peu lui : en février dernier, il faisait sonner le tocsin pour tout le personnel féminin de Radio France, recommandait séance tenante la burqa avant l’arrivée ou plutôt l’introduction de DSK dans les locaux de la maison ronde, prévenant tout dérapage de frasques priapiques. Quelques minutes après, toujours en direct, DSK ne cachait pas ses mots de mécontentement, jugeant que « l’humour, ce n’est pas drôle quand c’est principalement de la méchanceté » . En l’occurrence, le chroniqueur, selon lui, s’était montré vulgaire et méchant. Le lendemain, Guillon remettait le couvert comparant Martine Aubry à « un petit pot à tabac ». Nouveau tollé grimpant jusqu’à Élysée, où le locataire a estimé ouvertement le travail du bougre « inadmissible ». Avant le changement de direction à la radio, Guillon pouvait compter ses jours d’antenne. Finalement, il devrait rester. Parce qu’il est la caution d’une prétendue indépendance des médias face au pouvoir politique.

Flinguant torts et travers, sans limites, en véritable « enculé et fils d’enculé » , Guillon est l’un de ces humoristes qui ne cède pas à deux interdits de faux-culs : le physique et la vie privée. Sans détour. Mais bien plus : il est caustique et justement cruel. La vacherie clairvoyante de Guillon possède son échelle du décapage, qui trouve, par exemple, son degré idéal à l’occasion du crash d’un Airbus, sachant que, « selon les compagnies aériennes, les gens sont plus sensibles. Avec un A 380, le délai de rigolade doit patienter, tandis qu’un Boeing d’Air Gabon qui s’écrase, c’est presque un pléonasme. On s’étonne même qu’il ait pu décoller ! ».

Mieux encore dans le décapage lorsqu’Éric Besson est invité sur France Inter (le 8 avril), quand lui, tancé par le pouvoir, est déjà ex-futur ex-chroniqueur de la matinale. Besson, c’est « une très belle pièce. Je sais que je peux être viré en juin, je ne pensais pas qu’on me ferait un si joli cadeau de départ dès maintenant ! » . Et d’enchaîner sur un portrait réaliste, c’est-à-dire vitriolé (ou inversement), autour d’une personnalité instable envers ses amis et son camp, capable « de filer un sac de riz à la junte militaire ».
Voilà pour Guillon en radio. Un avant-goût de la scène, où il tire pêle-mêle sur les enfants, ces individus qui ont mauvais goût, sur Benoît XVI, les supermarchés bios à 15 euros le paquet de biscottes avec des vendeuses biodégradables, les handicapés, la journée sans voitures. Il recommande de toujours applaudir un fumeur, « parce qu’il ne sera peut-être plus là l’année prochaine ». Quoique. « Fumer tue. C’est une promesse qui peut virer en publicité mensongère. » Au gré de l’envoi et du ball-trap, il touche par un décryptage de l’actualité, souvent politique, souvent acidulé, corrosif.
Comédien avant tout, voilà près de vingt ans que Stéphane Guillon distille son humeur de vilain canard. Incorrigible. Sans improvisation, mais avec des textes écrits, troussés, calibrés. En quelques lustres, une même ligne de conduite (ou d’inconduite). Au début hésitant sur le genre, se rappelle-t-il dans un sketch. Il s’est décidé pour l’humour noir. « On est peu nombreux. À force d’écrire des saloperies, on finit par en attraper ! » Il a hésité avec le comique gras, mais il fallait se mettre « à l’affiche en slip kangourou » … Il reconnaît que l’humour noir n’est pas un boulot facile. Surtout quand aujourd’hui, en France, « dans le monde des médias, journalistes, politiques, animateurs, chroniqueurs, 8 personnes sur 10 souffrent de druckerite aiguë ». Lui-même a été atteint. « J’aimais tout le monde, j’étais une moule ! » Aujourd’hui, il est sorti d’affaire. C’est pour ça qu’il témoigne.

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