Un siècle d’humour vache

Le Caveau de la République est né en 1901. Portrait d’un théâtre réputé anar de gauche, cornaqué à l’irrévérence, qui a conservé sa tradition de pépinière et de tremplin d’humoristes.

Jean-Claude Renard  • 18 juin 2009 abonné·es

Plus jubilatoire que l’inauguration des associations. L’année 1901 est aussi marquée par deux naissances spectaculaires : le ping-pong et le Caveau de la République. Celui-ci est bâti sur les fondations d’une ferme, la Vacherie, et sous la houlette de Charles Bouvet, ouvrant ses portes à la chanson satirique et à l’humour. Deux genres qui longtemps accompagnent le Caveau, d’emblée estampillé anar de gauche. Héritiers spirituels du Chat noir, fameux cabaret montmartrois, les premiers trublions irrévérencieux sur scène ne touchent pas de cachets, mais plutôt des comprimés. Ils passent d’un caf’conc’ à l’autre, égrènent cinq ou six établissements par soirée. Le public retrouve Vincent Hypsa, Charles d’Avrey et Esther Lekain, un pêle-mêle de pamphlétaires, humoristes, chansonniers, poètes troussant allègrement le couplet. Après la Grande Guerre, le Caveau obtient ses galons de place incontournable où nombreux sont les artistes à faire leurs premiers pas. Le Caveau se veut terre de débusques. Pépinière et tremplin. À commencer par Berthe Silva et son répertoire mélodramatique gavé de roses blanches. À suivre par Raymond Souplex, Noël Noël, tout frais caricaturiste au Canard enchaîné et à l’Humanité , et René Dorin, le prince des chansonniers, livrant des textes portés par l’absurde.

Pierre Dac fait aussi son entrée dans cette période faste, disserte d’une voix volontairement monocorde. « À l’éternelle et ­triple question demeurée sans réponse, qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous, je réponds : en ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ! » L’Occupation vient museler les écarts de langage. Parler politique est strict verboten . Et si le ­théâtre des Deux Ânes est la première maison à proposer un spectacle en allemand, puisqu’il faut bien s’occuper, Pierre Dac saccade depuis Londres un « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». Francis Blanche décoche des fables express en 1942, Charles Aznavour se fait remarquer au printemps 1944.

Au lendemain de la guerre, la radio investit les foyers. Les directeurs de programme ont besoin de voix et d’esprit. Ils recrutent, notamment au Caveau, des hommes de ­lettres acerbes et ironiques tels Jacques Grello et Robert Rocca. La France entière s’arrête devant le haricot mouton pour écouter « le Grenier de Montmartre » et « la Famille Duraton ».
Par la suite, Pierre-Jean Vaillard et Maurice Biraud seront les figures fétiches du ­théâtre, poursuivant son chemin sarcastique et désopilant. Plus tard encore, c’est François Morel. En 1990, Hugues Leforestier prend les rênes du théâtre. Peu après, Stéphane Guillon dégoupille ses premiers jets d’encre, inscrits pleinement dans la veine du Caveau. « Il existe un seul principe, celui de l’humour avec du sens. Et dès lors qu’on y met du sens, c’est souvent politisé » , affirme Hugues Leforestier, qui voit près de cinq cents spectacles par an à travers la France. Ça laisse une marge de rencontres, de découvertes, de quoi observer « qu’il y a de moins en moins de talents, beaucoup de candidats et peu d’élus. La concurrence est aussi énorme, venant d’abord des politiques. Écouter Rachida Dati parler des européennes donne l’impression d’avoir affaire à une humoriste. Idem pour Chouchou président, piquant maladroitement un stylo en signant un traité. Mais ce ne sont pas les politiques qui ont changé, c’est la communication. L’humoriste se doit donc d’être encore meilleur. Pour lui, le Caveau de la République est le plus chaud de l’enfer. Il est seul sur scène, avec 450 personnes autour de lui, qui le regardent comme des lions regardent un dompteur. S’il ne parvient pas à les faire rire dans les quinze secondes, il va ramer toute la soirée, d’autant qu’ils sont cinq autres compères à passer sur scène, sûrs de faire rire ». Cela dit, on ne vient pas pour des têtes d’affiche. Les spectateurs entrent au Caveau de la République parce que c’est le Caveau de la République, avec son esprit.

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