Enfermés dans l’humiliation

L’impossible encellulement individuel et la pratique du mitard témoignent d’un système carcéral anachronique, qui fait fi de la dignité humaine.

Jean-Claude Renard  • 9 juillet 2009 abonné·es

Parfois deux dans une cellule de 9 m2, souvent trois. La condamnation pénale se double d’une condamnation à la promiscuité, mâtinée d’insalubrité. En 2000, les parlementaires avaient rendu l’encellulement individuel obligatoire pour les prévenus en détention provisoire, en l’assortissant d’un moratoire. En mars dernier, le Sénat a réaffirmé le principe de l’encellulement individuel, tout en introduisant un nouveau moratoire de cinq ans pour son application. L’idée d’un prisonnier par cellule serait alors automatique, sauf pour les personnes exprimant une demande contraire ou si leur « personnalité » justifie dans leur intérêt qu’ils ne soient pas seuls. Ce ne sont là que des formules qui ne s’appliquent pas. Effets de manches et communication. D’un moratoire à l’autre, à propos d’un principe déjà fixé en 1875 (!), on peut s’interroger sur cette obstination à reporter ce qui semble légitime et urgent pour sortir de l’indignité. À vrai dire, si l’on observe la rhétorique actuelle du ministère, la cellule individuelle n’est pas un principe essentiel de la dignité. Funeste erreur que d’y croire. Les détenus ont pourtant répondu favorablement à 86 % à cette idée. Mais voilà. Le gouvernement gave ses prisons à tours d’écrous redoublés. La surpopulation carcérale a toujours raison. Et bon dos. Le rythme de construction ne peut encaisser le nombre d’incarcérations. Avant que les condamnations ne pleuvent, il s’agirait de changer les règles et de commencer par construire de nouvelles cellules pour une personne et non pas pour deux ou trois. S’il y avait la moindre conviction sur l’encellulement individuel, il n’y aurait pas même besoin de loi. À l’évidence, au ministère, on n’espère pas que moins de gens n’entrent en prison. Non plus que d’autres en sortent plus vite.

De la même manière, le placement en quartier disciplinaire, communément appelé le mitard, d’une durée de 45 jours au maximum aujourd’hui, serait ramené, selon le projet de loi en cours, à 30 jours, contre l’avis du gouvernement, qui en demandait 40, et du Sénat, qui en 2000 préconisait 20 jours. Revenir à 30 jours est un tantinet pathétique. Sachant que la moyenne en Europe est de 12 jours. Sachant aussi qu’en matière disciplinaire nombre d’associations ont demandé la suppression pure et simple du mitard, sombre, sale et mal aéré, au profit d’un confinement en cellule. Sur la question du mitard ou la diminution de sa durée, la procédure disciplinaire n’a guère évolué. Peu de changement dans la composition de la commission de discipline, toujours entre les mains de la direction de l’établissement pénitentiaire. Ce qui ne change rien à la nature de l’institution, toujours juge et partie, en dehors des notions de procès équitable.

Fondamentalement, le quartier disciplinaire, c’est comme la fouille (se dénuder, écarter les jambes, les bras, se baisser, tousser). Le symbole d’une prison dont personne ne veut la disparition. La loi pénitentiaire qui s’annonce n’entend pas faire passer ces symboles aux oubliettes de l’histoire. Ce ne sont pas des pratiques du XVIIIe ou du XIXe siècle mais bien celles du XXIe siècle. Un anachronisme auquel s’attache le milieu carcéral. Le quartier disciplinaire, c’est la prison dans la prison, des droits encore plus restreints. C’est la quintessence même du pouvoir arbitraire d’une administration sur les hommes qui lui sont confiés.

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