Le prisonnier est un « sans-droit »

Thierry Illouz  • 9 juillet 2009 abonné·es

Une vraie loi pénitentiaire est une urgence, un besoin absolu. L’état des prisons et la condition des prisonniers en font une nécessité chaque jour plus aiguë. Et pourtant cette loi ne vient pas. La gauche elle-même l’avait promise, sans la promulguer jamais. L’abandonnant aux limbes du calendrier électoral.
Faut-il supplier ? Que faut-il comprendre de cet impossible
rendez-vous, si ce n’est le dérangement profond qu’un tel projet suscite ? La vérité est que l’opinion, cette machine invisible et souveraine, dont on ne sait pas véritablement en quoi elle existe,
si ce n’est par l’effet de sondages, règne sur ces décrets.
Et l’opinion ne veut pas de cette association d’idées « droit/prisonnier ». Le prisonnier est par définition « sans droit ». C’est sa nature, il purge une peine, il subit une sanction, et la sanction ne s’accommode pas de l’octroi de droits. Il est « hors la loi », justement. Et la loi est donc hors de lui.

Foucault avait mis au jour ces enjeux d’une sorte de sadisme collectif et institutionnel qui ne se contente pas de la sanction,
la peine prévue par les textes. Cette peine « privative de libertés » ne suffit pas.
On en demande plus. Il faut de l’infamie,
de la dégradation, de la relégation,
du rabaissement, ajouter de la peine à la peine. Le supplice de Damien qui ouvre Surveiller et punir en donne une idée assez juste.
Le politique commet souvent l’erreur d’adhérer à ce schéma, sinon tout au moins de ménager l’opinion. Dès lors, la surpopulation gagne, les conditions de détention se dégradent, les principes fondamentaux cèdent devant cette hydre. Cette négligence entraîne même le sort du personnel pénitentiaire, par nécessité lié aux conditions de la détention. L’abolition de la peine de mort avait en son temps affronté ce spectre et l’avait pourtant vaincu. Il conviendrait de s’en souvenir. Ou bien alors faudrait-il dire tout simplement ce qu’est la privation de liberté, que l’on sache d’une manière ou d’une autre à quel point elle est en soi une sanction lourde et terrible.
Il s’agit de trouver un moyen d’enseigner cela, de le faire voir,
de le faire comprendre.

Jeune avocat allant pour la première fois visiter son client
en détention, on m’avait donné dans la rue un échantillon
d’une eau de toilette très connue dont j’avais déposé quelques gouttes au creux de la main. Je suis entré à la maison d’arrêt, j’ai entendu le bruit des clefs dans les serrures, j’ai vu les portes se refermer derrière moi, les unes après les autres, j’ai entendu le bruit des pas, la fermeture du monde, la réclusion. Et je ne me rendais qu’au parloir des avocats sans passer par les cellules. Je n’oublierai jamais cette sensation de terreur et d’angoisse que j’ai revisitée pourtant des dizaines et des dizaines de fois par la suite.

Depuis, je ne peux plus supporter cette eau de toilette, même
la sentir au détour d’une rue me dérange, comme si elle était devenue l’odeur de la détention. Cette expérience personnelle, subjective, privée, est pour moi le début de ce que j’aimerais faire comprendre de ce lieu fermé et soustrait au regard, abandonné
et verrouillé, et qui mérite infiniment d’être considéré avant
qu’un jour, qui sait, on songe à lui trouver des alternatives définitives.

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