Sous La Jupe, Des Senteurs Anciennes

Sébastien Fontenelle  • 10 juillet 2009
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Alain Finkielkraut n’est pas seulement le raffiné clerc dont la télé aime à propager la pensée: le gars est aussi un gros cinéphil(osoph)e.

En 1995, rappelle-toi: il éreinte Underground , «version rock, postmoderne, décoiffante, branchée, américanisée, et tournée à Belgrade, de la propagande serbe la plus raboteuse et la plus mensongère» .

(Et certes: il n’a pas vu le film de Kusturica.

Mais bon, à l’époque, la défense de la Croatie (formidablement) démocratique du poglav… Du président Tudjman (beaucoup plus nettement rock, décoiffante et américanisée que l’irrepentie Serbie rouge) vaut bien le sacrifice de quelques fondamentaux.)

De même, en 2008: Finkie lâche, d’une haute hauteur, des tonneaux de guano sur Entre les murs , dont les promoteurs sont de ces maudits bât… De ces idéologues disgraciés qui veillent «à ce que notre vie entière se déroule entre les murs du social» .

(Et qu’il n’a pas vu non plus, mais nous n’allons pas, n’est-ce pas, nous focaliser sur de trop minuscules détails.)

Et cette année: Finkie a vu La Journée de la jupe , où Sonia (Isabelle Adjani), prof de français dans une banlieue (évidemment) difficile, «pète les plombs face à des élèves qui la provoquent» , et, chargée d’un gun (évidemment) trouvé dans le sac d’un de ces bariolés sauvageons, «prend sa classe en otage» .

Disons-le nettement: Finkie a littéralement aaaaadoré ce film – au point qu’il voudrait même «opposer à l’esprit de Durban l’esprit de La Journée de la jupe » .

LEÇON NUMERO 1: POUR ÉVITER TOUT DÉBORDEMENT RACISTE EN AFRIQUE DU SUD, RIEN NE VAUT LE BRAQUAGE D’UN(E) COLLÉGIEN(NE) DE LA SEINE-SAINT-DENIS.

(Le monde est basique, dès lors que tu l’appréhendes simplement.)

Finkie relève que c’est «pendant qu’elle prend sa classe en otage» , que cette admirable enseignante «réussit» enfin «à lui faire un cours digne de ce nom» [^2].

LEÇON NUMÉRO 2: L’INDIGÉNAT DES BANLIEUES N’APPREND VRAIMENT QUE SOUS LA MENACE D’UNE ARME DE FORT CALIBRE.

(C’est l’un des (rudes) enseignements que nous avons retenus de la guerre d’Algérie, où, déjà, le fellagha se montrait volontiers arrogant.)

Mais ce qui ravit réellement Alain Finkie, dans La Journée de la jupe, c’est ce détail, follement novateur: «Nous apprenons au cours du film» que la tendineuse prof qui tient le flingue «est elle-même d’origine arabe, mais qu’elle n’a jamais voulu le dire pour capter la bienveillance de ses élèves» – car «nous sommes dans une école laïque» .

Quelle formidable idée!

Quel génie, chez le réalisateur!

LEÇON NUMÉRO 3: LA BONNE ARABE EST UNE ARABE QUI A LE BON GOÛT DE TAIRE QU’ELLE EST ARABE, QUAND ÇA NE SE VOIT PAS SUR SA GUEULE.

(C’est pour ça que le rôle a été confiée à Isabelle Adjani: tu penses bien que si c’est Biyouna qui joue la prof, c’est tout de suite plus compliqué pour elle de cacher son arabitude.)

Un chouette film?

Ça tient à peu de chose.

Vivement qu’un cinéaste nous raconte le pétage de plomb d’un(e) Arabo-musulman(e) harcelé(e) par de piètres penseurs: je suis sûr que Finkie aimera.

[^2]: Dans la vraie vie, naturellement: la dernière fois qu’une classe de banlieue a été prise en otage, c’était, si mes souvenirs sont bons, dans un quartier modérément bigarré, à Neuilly (Hauts-de-Seine) – et le braqueur a été abattu, après une (courageuse) intervention du maire Kozy. Mais ça n’empêche pas du tout Alain Finkie de considérer que «la réalité apparaît» dans La Journée de la jupe : si tu le répètes plusieurs centaines de milliers de fois, tu finiras sans doute par y croire.

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