Le Soleil se lève à Kaboul

Le théâtre Aftaab,
créé à Kaboul par Ariane Mnouchkine, présente à Paris un « Tartuffe »
et « Ce jour-là », centré sur des événements contemporains.

Gilles Costaz  • 3 septembre 2009 abonné·es

Le théâtre Aftaab de Kaboul arrive à Paris. Aftaab, en dari, l’une des langues des Afghans, veut dire soleil. Cette compagnie du Soleil a été créée là-bas en 2004 par le Soleil de la cartoucherie de Vincennes ; Ariane Mnouchkine l’a fondée avec une partie de son équipe, lui a trouvé les moyens d’exister (ils viennent du Soleil français, de l’ambassade de France, de la mairie de Paris et d’Agnès B) et a développé une collaboration entre les acteurs afghans et des metteurs en scène occidentaux et orientaux. À Kaboul, les spectacles ont eu lieu au Centre culturel français, avec un grand retentissement. Mais rien n’est simple pour cette équipe de deux femmes et treize hommes : on comprend pourquoi les femmes ont de grandes difficultés à s’engager dans cette aventure – et l’on déduit aisément que bien des rôles féminins sont tenus par des hommes, reprenant malgré eux l’ancestrale tradition du travestissement des sexes.

La troupe vient à Paris avec deux spectacles, tous deux mis en scène par Hélène Cinque. L’un, Tartuffe, est son spectacle phare. Il a été donné longuement à Kaboul, devant un public effervescent ; il a tourné en Afghanistan et au Pakistan. La mise en scène transpose celle qu’avait faite naguère Ariane Mnouckine. Celle-ci avait placé la pièce de Molière chez les imams, dans l’intolérance des « barbus ». Cinque l’a resituée chez les dévots catholiques et a utilisé l’apparat des soutanes et des aubes. « Pour ces acteurs, c’est une pièce de résistance, qu’ils jouent malgré leurs peurs, dit Hélène Cinque. Là-bas, ils prennent de grands risques, et pas seulement les femmes. Maîtres de leurs spectacles, ils enlèvent ou ajoutent une scène ou une autre selon leur intuition. »

L’autre spectacle, Ce jour-là, est créé à Paris et sera donné ensuite à Kaboul. Pour cette création collective, chacun a conté l’histoire d’une journée : le moment où les talibans sont arrivés, les réactions au 11 Septembre… « On suit la vie d’un barbier, d’un tailleur, d’un musicien, ou bien un fait très précis de l’actualité, dit Hélène Cinque. Bien des événements importants avaient été à peine reflétés par nos médias, comme ce drame d’un chauffeur de taxi arrêté à la prison Bagram, avenue Walt-Disney, à Kaboul, parce qu’il avait eu le tort de se trouver là ; dans cette prison, les conditions de détention exigées par les Américains sont pires qu’elles l’étaient à Guantanamo !
L’accouchement des textes de chacun s’est fait peu à peu. Il y a des zones inaccessibles en fonction de la culture, et l’on se rejoint sur les choses simples et essentielles. Les acteurs parlent dari, patchoun, farsi et parfois français. Je travaillais avec un interprète, avec l’impression de mettre en place des boutures. La pièce terminée laisse entrevoir des myriades d’existences qu’on n’imagine pas, avec le sentiment dominant de vies se déroulant à l’intérieur d’une société recluse. »

Le théâtre Aftaab pourrait avoir un lieu fixe à Kaboul dans un avenir proche ; c’est l’un des autres combats d’Ariane Mnouchkine.

Culture
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