Et si la paix n’avait pas de prix ?

Denis Sieffert  • 15 octobre 2009 abonné·es

Alors, ce prix Nobel de la Paix à Barack Obama, vous êtes d’accord ou pas d’accord ? Voilà bien un sujet de discussion sans fin et, au demeurant, d’intérêt limité. Tout le monde en convient : le Président américain est à présent lesté d’un fardeau supplémentaire. Un peu comme un gamin doué auquel une diseuse de bonne aventure aurait prédit un destin merveilleux. Le premier réflexe est évidemment de juger prématurée cette « récompense » décernée à peine à l’aube d’un mandat qui s’annonce périlleux. Mais, au fond, notre interrogation doit peut-être moins porter sur l’œuvre politique d’Obama que sur la nature même d’un prix Nobel de la Paix. Une fois de plus, le jury norvégien prend le risque d’être pris à contre-pied par l’histoire. Imaginez que le récipiendaire, piégé par sa fonction, commette dans les prochains mois ou les prochaines années quelque crime de guerre bien sanglant… Ce qui peut toujours arriver quand on occupe de très hautes responsabilités.

Souvenez-vous Shimon Pérès, distingué au lendemain des accords d’Oslo, et qui s’empressa, deux ans plus tard, de faire bombarder le Sud-Liban. Souvenez-vous du massacre de Cana ! Mais les Nobel ont fait pire. Ils n’ont pas seulement célébré les mérites de deux présidents des États-Unis en exercice – Theodore Roosevelt et Woodrow Wilson –, ils ont récompensé deux des protagonistes de l’une des guerres les plus épouvantables du dernier demi-siècle : Le Duc Tho et Henry Kissinger.

Le Vietnamien avait eu le bon goût de décliner ce trop-plein d’honneurs. L’Américain, lui, toujours entre deux coups d’État en Amérique latine ou au Timor, ramassa la mise et ne demanda pas son reste. Il venait à peine de cesser d’anéantir une population sous un déluge de napalm. Vous avez dit « prix Nobel de la paix » ? À l’aune de cette année 1973, Obama est un Nobel méritant. Dans un autre registre, le comité norvégien distingua dans un moment d’égarement Elie Wiesel, au pacifisme très particulier. Il n’est qu’à relire les encouragements qu’il dispense à chaque offensive israélienne. Sous réserve d’inventaire pour une politique qui n’a pas encore été accomplie, le choix d’Obama n’est donc pas scandaleux. Les Nobel ont bien sûr voulu saluer son discours du Caire à l’adresse des musulmans. Un petit détour ici pour dire notre stupeur à la lecture d’un entretien de Bernard-Henri Lévy au Journal du dimanche . L’homme à qui le JDD demande une semaine sur deux de commenter tout et n’importe quoi, comme s’il était oracle, approuve la désignation d’Obama. Comme nous (ce qui est toujours inquiétant !), il explique la décision des Nobel par le discours du Caire. Mais voilà qu’il entreprend d’en rappeler le contenu.

Prétendant paraphraser le Président américain, il lui fait dire que « l’Amérique n’est pas l’ennemie [des “musulmans modérés”], mais leur alliée » . C’est à peu près cela en effet. Mais, soudain, BHL déraille. Se prenant pour Obama, il lui fait dire aux musulmans qu’ils doivent « conjurer […] cette mémoire du fascisme dans lequel, dit-il [BHL, pas Obama], vous avez autrefois, non moins que les Occidentaux, trempé – et dont les mouvements du type Hamas, Hezbollah, Frère musulmans sont les dignes continuateurs » . Imaginez un peu Obama venant au Caire dire aux musulmans qu’ils sont coresponsables de la Shoah et aux Frères musulmans qu’ils sont des fascistes…
C’est pourtant cela que BHL a retenu du discours du Caire. Des propos qui sont à l’exact opposé de ce qu’a dit le Président américain. Des mots qui n’ont évidemment jamais été prononcés, mais qui auraient pu être ceux de George W. Bush. Ceux du choc des civilisations avec lequel, précisément, et c’est son principal mérite, Obama a rompu idéologiquement. À quand le Nobel de la paix à BHL ? Ne plaisantons pas avec ça. Tout peut arriver. Il s’est même trouvé des courtisans élyséens pour déplorer que le lauréat n’ait pas été… Nicolas Sarkozy. L’homme aux vingt-sept mille expulsions d’étrangers. L’homme qui, ces jours-ci, fait renvoyer dans leur pays des Afghans dont le sort funeste hésitera peut-être entre les kalachnikovs des talibans et les bombes occidentales.

Notre boucle est d’ailleurs bouclée, puisque, en ces jours de gloire personnelle, Obama est invité par ses généraux à muscler les effectifs de l’armée américaine… en Afghanistan. Les diseuses de bonne aventure risquent d’être vite prises en défaut. Peut-être est-ce tout simplement que la paix n’a pas besoin de prix ; ou que la paix n’a pas de prix. Et s’il en faut un (à tout prix), pourquoi ne pas renoncer aux politiques qui ne peuvent gouverner innocemment, comme le disait Saint-Just ? Il existe tant de personnages magnifiques qui luttent parfois dans l’ombre contre des régimes liberticides. Des personnages sans taches qui consacrent toute leur vie à des causes justes. Chers amis du Nobel, vous voulez une suggestion pour l’année prochaine : pourquoi pas Stéphane Hessel ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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