Les jeunes frondeurs de la SFIO

L’histoire du divorce entre
les jeunes socialistes et leurs aînés au lendemain de la guerre éclaire sur l’éternel conflit entre radicalité et gestion.

Denis Sieffert  • 1 octobre 2009 abonné·es

L’énorme somme que Jean-Jacques Ayme consacre à l’histoire des Jeunesses socialistes (JS) de l’après-guerre porte en sous-titre : « Socialisme contre social-démocratie ». Il n’est pas sûr que cette opposition résonne encore à l’oreille des jeunes générations. Les deux mots étant devenus, hélas, synonymes dans le langage médiatique. Il n’est même pas sûr que la plupart des dirigeants « socialistes » d’aujourd’hui, tout à leur aventure libérale, aient encore à voir avec la « social-démocratie ». Une forte recontextualisation est donc indispensable avant de se plonger dans cet ouvrage massif. Il n’est pas inutile pour cela de se remettre en mémoire le grand schisme du congrès de Tours, en décembre 1920. L’ouvrage passionnera cependant tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de cette famille du mouvement ouvrier que l’on nomme « social-démocrate » ou « réformiste », et qui n’est plus aujourd’hui ni l’un ni l’autre. Dans une France meurtrie, celle des années 1944-1948, les relations entre le mouvement des Jeunesses socialistes et la « maison mère » PS-SFIO (section française de l’Internationale ouvrière) sont d’emblée conflictuelles. Tandis que les aînés, dont le revenant Léon Blum, mais aussi Daniel Mayer et Guy Mollet, invitent à la paix civile au nom de la nécessaire reconstruction du pays, les jeunes emboîtent le pas à toutes les mobilisations ouvrières, quand ils ne les devancent pas. D’où l’éternel soupçon, pas vraiment infondé d’ailleurs, de collusion avec les trotskistes. Vade retro Satana . Une accusation officiellement proférée en mars 1947 et qui vaut anathème.

Entre les deux générations, tout est sujet à conflits. Même les symboles. Surtout les symboles. La simple évocation de la Commune de Paris ou le choix de Drapeau rouge comme nom de l’organe officiel des JS suscitent l’ire de la direction du Parti. Et, plus profondément, les questions sociales et coloniales – c’est le début de la guerre d’indépendance indochinoise, c’est aussi le temps des soulèvements en Afrique, et d’une terrible répression française à Madagascar. La brouille va très loin. En avril 1947, la direction du PS interdit la publication des résolutions du congrès des Jeunesses socialistes. En juin, elle prononce la dissolution du bureau national. Et le lendemain, Guy Mollet, l’homme au double langage, a le malheur de s’aventurer dans les locaux des JS. Il en est chassé manu militari . Le conflit ne fera en fait que radicaliser les trublions, qui ne tardent pas à se prononcer pour un « regroupement révolutionnaire ». Au mois d’août 1947, c’est la rupture totale avec le PS. Libérés d’une discipline dont ils faisaient de toute façon peu de cas, les JS émancipés feront même campagne contre le parti aux élections de septembre. Faut-il voir dans cette aventure la simple manifestation d’un conflit de générations ? Si la jeunesse « est la flamme de la révolution prolétarienne » , comme le rappelle l’auteur en citant Karl Liebknecht, il s’agit aussi d’une opposition réellement politique entre des politiciens aspirés par le pouvoir et des militants plongés dans un mouvement social en ébullition. L’énorme travail de documentation accompli par Jean-Jacques Ayme est autant l’œuvre d’un homme engagé que d’un historien. C’est aussi une forme d’hommage à son père, Jean Ayme, psychiatre, lui aussi engagé dans la vie syndicale et politique, qui fut l’un des acteurs de cette gauche radicale, à partir de l’aventure originale des Auberges de jeunesse, le lieu initiatique dès avant-guerre d’une génération de militants. On ne dira pas que le livre se lit comme un roman, mais il constitue un ouvrage de référence pour tous ceux que cette histoire intéresse. Ceux-là y puiseront quelques leçons pour aujourd’hui. C’est aussi, et peut-être surtout, l’évocation d’une époque où le fond de l’air était vraiment rouge.

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