Un espoir pour les exclus du chauffage

Alors que douze millions de personnes se chauffent mal – ou pas du tout – en France, le gouvernement semble prêt à s’attaquer à cette forme de précarité. Un groupe de travail élabore des propositions.

Patrick Piro  • 15 octobre 2009 abonné·es
Un espoir pour les exclus du chauffage

Le gouvernement reconnaît enfin l’existence d’une précarité énergétique, et l’urgence de s’y attaquer. Un groupe de travail a été constitué pour élaborer un plan d’action d’ici au 15 décembre, comprenant des associations qui expriment leur satisfaction [^2]. Et, en janvier, la France se dotera d’un observatoire. Ces annonces ont été faites par Valérie Létard, secrétaire d’État au développement durable, lors d’un séminaire organisé le 8 octobre à Paris pour rendre compte du programme européen Epee, sur la précarité énergétique, lancé en 2007 en Belgique, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni. Le terme a commencé à prendre ses quartiers en France il y a trois ans à peine, à mesure que les pouvoirs publics prenaient conscience de la montée d’une forme nouvelle de fragilisation des foyers modestes : le manque de moyen pour chauffer décemment leur logement.
« Mais c’est la croix et la bannière pour faire un état des lieux, il faut bricoler et croiser des données éparses » , explique Sandrine Buresi, directrice de l’association Gefosat, à Montpellier. La ville de Besançon, alertée par ses services sociaux, a dû disséquer les chiffres départementaux du Fonds solidarité logement pour constater que les aides au paiement des factures d’énergie avaient augmenté de 20 % par an depuis 2005.
En France, 12 millions de personnes à faibles ressources pourraient être concernées, estime le réseau Rappel, qui regroupe depuis 2007 quelque 120 organisations en lutte contre la précarité énergétique. Un chiffre que ne récuse pas le gouvernement, qui identifie 5 % de ménages en difficulté pour se chauffer correctement, et 12 % endettés auprès des fournisseurs de gaz, d’électricité ou d’eau. Un phénomène que l’observatoire aura pour priorité de mieux cerner.

En Europe, le programme Epee estime qu’entre 50 et 125 millions de personnes sont affectées par cette précarité –  « ce que nous apprenons avec stupéfaction ! » , s’exclame Valérie Létard. Et ces chiffres pourraient rapidement doubler, estiment les observateurs.
La crise de l’énergie est évidemment en cause : le prix des combustibles fossiles (fioul et gaz, principalement), qui aspire celui des autres énergies, a pris 4,2 % par an en moyenne depuis 1995. En Europe, le gaz domestique a augmenté de 18 % entre 2005 et 2007 ! « Mais la cause principale, c’est la piètre qualité des logements, commente Franck Dimitropoulos, animateur de Rappel. Les moins fortunés habitent dans les logements les moins bien isolés, qui peuvent consommer, à surface égale, quatre fois plus qu’une habitation aux normes actuelles ! » En France, deux tiers des logements ont été construits avant 1975, date d’entrée en vigueur des premières obligations d’isolation thermique.

S’ajoute enfin la progression constante de la pauvreté. Elle touche environ 15 % des foyers en Europe. Le renchérissement considérable de l’immobilier participe fortement à cette fragilisation, relève la Fondation Abbé-Pierre, qui publie chaque année des indicateurs sur le phénomène : le poids des charges liées au logement – loyer ou remboursement d’emprunt, énergie, eau – a doublé en dix ans pour les 20 % de ménages les plus pauvres. « Elles représentent en moyenne un quart de leur budget, voire la moitié dans certains logements du parc privé », souligne François Chaillou, vice-président de la Fondation Abbé-Pierre. Pour ces ménages, les seules factures d’énergie domestique absorbent jusqu’à 15 % des revenus !
C’est largement au-delà des 10 % définis comme seuil d’entrée en précarité énergétique au Royaume-Uni, où il ouvre droit à des programmes d’aide. Le pays, qui paye, entre autres, la libéralisation à tous crins du marché de l’énergie, est aussi pionnier dans la lutte contre le phénomène grâce à un bon réseau de prévention en santé, dont l’expérience fait référence auprès des autres pays européens. Il est notamment à l’origine des seules études sur l’impact sanitaire de la précarité énergétique. « La surmortalité, en hiver, est notablement plus importante dans les logements mal isolés, expose Christine Liddell, professeur en psychologie à l’université d’Ulster. Et, pour chaque décès, on compte 8 hospitalisations et 100 consultations chez le médecin. »

Deux attitudes existent pour les ménages en précarité énergétique, souligne Didier Chérel, à l’Ademe : « On arrête de payer les factures ou on arrête de se chauffer. »

Les logements à bas coût sont souvent équipés de radiateurs électriques, bon marché à la pose. C’est le cas dans des programmes sociaux du type « maison à 100 000 euros » lancés en 2005 par Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Cohésion sociale. Effet pervers : à l’usage, le chauffage électrique coûte facilement deux fois plus que ceux avec toute autre énergie. « Au milieu des années 1980, la ville de Besançon a décidé de ne plus garantir les emprunts des bailleurs sociaux s’ils avaient recours au chauffage électrique dans leurs logements », signale Myriam Normand, directrice du service maîtrise de l’énergie à la municipalité.
Certains vont jusqu’à débrancher les convecteurs pour brûler du pétrole à la chaufferette dans leur salon, malgré les risques – incendie, émissions mortelles en cas de mauvais tirage, etc.

En France, jusqu’à présent, c’est par une assistance au coup par coup que l’on tente d’amortir les conséquences. Les Fonds solidarité logement des départements sont sollicités chaque année par environ 300 000 ménages en dette avec leurs fournisseurs d’énergie, mais les personnes qui y auraient droit sont probablement cinq fois plus nombreuses. Il existe également depuis 2004 un « tarif social » pour l’électricité, et pour le gaz depuis 2008. Près de 700 000 personnes ont accès au premier, mais là encore on pourrait s’attendre au double. Enfin, le gouvernement a instauré en 2007 une prime à la cuve : 200 euros pour payer le fioul de chauffage – près d’un million de foyers non imposables l’ont sollicitée l’an dernier.

Des perfusions aberrantes, critiquent notamment les écologistes, qui ont surtout pour effet de maintenir les plus démunis dans la dépendance à des systèmes peu performants et coûteux. « Jusqu’à présent, on a fait dans le médiocre, en parant au plus pressé, reconnaît Philippe Pelletier, qui pilote le groupe de travail créé par Valérie Létard, ainsi que le plan « bâtiment » du Grenelle. On a bricolé des aides sans s’attaquer au cœur du problème : l’isolation des bâtiments “passoires” et la fourniture de chaleur bon marché. » Depuis un an, quelques timides mesures ont été lancées dans ce sens : les bailleurs sociaux sont incités, par une fiscalité avantageuse, à rénover thermiquement 800 000 logements vétustes (mais le parc français en compte 4,5 millions). Et l’Agence nationale de l’habitat (Anah) accorde des subventions aux propriétaires occupants modestes [^3] pour isoler leur logement ou changer de chaudière.

Pour autant, le gouvernement est-il prêt à un vrai changement de politique ? On reste prudent dans les associations. Aucun financement n’a été annoncé par Valérie Létard. Le sera-t-il via le « grand emprunt » annoncé par Nicolas Sarkozy ou la taxe carbone ? Autre piste : les fournisseurs d’énergie. Tenus de favoriser des opérations d’économie d’énergie [^4], ils pourraient être contraints, comme c’est en débat au sein de la loi Grenelle 2, d’en réaliser une partie chez les 30 % de la population qui n’ont pas les moyens de financer des travaux importants. « Si le gouvernement fait les choses à moitié, on va droit vers une nouvelle fracture sociale » , redoute Franck Dimitropoulos.

La méthode adoptée par le ministère de l’Écologie n’est en tout cas pas de bon augure : s’il est demandé au groupe de travail de rendre sa copie dès le 15 décembre, c’est dans l’espoir de peser in extremis sur les derniers arbitrages budgétaires pour 2010. « Comment produire un rapport de qualité dans ces conditions ? » , s’interroge Sandrine Buresi. Jusqu’à ces derniers jours, pas un euro n’était attribué au fonctionnement de ce groupe. « Ce n’est pas un souci pour EDF ou GDF, mais quid de nos petites associations ? » La Fondation Abbé-Pierre a finalement obtenu que les billets de train soient remboursés…

[^2]: Entre autres : Fondation Abbé-Pierre, Gefosat, Comité de liaison énergies renouvelables (Cler).

[^3]: Un tiers seulement des ménages pauvres vivent dans des logements sociaux.

[^4]: Pour l’obtention de « certificats blancs », qu’ils peuvent vendre à des entreprises qui n’atteignent pas leurs objectifs en la matière.

Écologie
Temps de lecture : 7 minutes

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