Act Up, roman-photo

Olivier Doubre  • 26 novembre 2009 abonné·es

C’est un beau livre. Agréable à feuilleter comme un album de famille. Les clichés épars, volontairement sans ordre chronologique, qui y sont rassemblés retracent vingt ans de colère, d’actions, de fierté, d’humour, de blagues, mais aussi de deuil, de désespoir et de slogans vengeurs. Vingt ans d’un combat qui – malheureusement – se poursuit encore aujourd’hui, mené par la plus radicale association française de lutte contre le sida.

À l’occasion de son vingtième anniversaire, Act Up-Paris a souhaité d’abord rendre hommage à ses militants et à tous ceux qui l’ont soutenue, en réunissant les textes produits par l’association ou certains de ses membres et surtout de nombreuses – et belles – photos d’actions publiques qui rappelleront non sans émotion bien des souvenirs à ceux qui y ont participé ou assisté. Certains s’y reconnaîtront, ou reconnaîtront d’anciens militants, perdus de vue depuis. Ils retrouveront aussi les visages des disparus, victimes de cette épidémie qu’ils combattaient avec force, hargne et pugnacité. À l’image de Cleews Vellay, militant de la première heure, devenu « présidente » de l’association en 1992 et qui avait exigé, quelque temps avant sa mort, d’avoir un « enterrement politique » (1993). « Elle » l’aura d’ailleurs en octobre 1994, comme le montre une photo du livre, son cercueil porté par les présidents successifs de l’association pénétrant dans le cimetière parisien du Père-Lachaise entre deux rangées de militants brandissant leurs cornes de brume qu’on devine hurlantes, comme la douleur qui se lit sur les visages…

Mais ce livre s’adresse aussi (et peut-être surtout) à ceux qui ne connaissent pas encore Act Up, aux jeunes en particulier, qui n’ont pas vécu ces temps d’angoisse où les malades du sida mouraient faute de traitements, lorsque Act Up prévenait que « l’épidémie [était] hors de contrôle » (1993) et organisait de terribles « journées du désespoir » (avril 1992 et mai 1994). Ils découvriront, à travers ces clichés et une maquette un brin « pop » (bien à l’image de l’association, dès sa naissance très attentive au respect de sa fameuse « charte graphique », reconnaissable entre toutes), que ses militants dégagent une vraie joie collective de lutter ensemble en trouvant, malgré la peur de la maladie et de la mort, la force de rire et de se moquer – parfois d’eux-mêmes. Cette autodérision sera d’ailleurs l’une des grandes forces de l’association, comme lorsque, durant l’une des pires périodes de l’épidémie, les rédacteurs d’ Action , la lettre mensuelle d’Act Up, réservaient l’avant-dernière page à une rubrique parodique (et déjantée), intitulée Miction (1995), avec le sous-titre « Aids entertainment monthly » (Mensuel du sida-spectacle, sic)…

Ainsi, au fil des textes et des affiches, c’est aussi un livre d’histoire que l’on feuillette, celle de la lutte contre le sida en France. Et devant les clichés de ces innombrables manifestations, zaps (actions coup-de-poing spectaculaires, mais sans jamais aucune violence physique) et « die-in » (lorsque les militants s’allongent par terre pour symboliser les morts du sida), on s’aperçoit de la force qui ressort de l’utilisation des corps de ces malades et militants. Des corps qui sont alors leurs « armes » , ultime « réponse » qui renvoie la violence à laquelle ils sont «  quotidiennement confrontés ». Dédié aux morts du sida, et en premier lieu aux militantes et militants d’Act Up décédés, cet album se veut également une « piqûre de rappel » , pour souligner que « l’épidémie n’est pas finie » . Il est donc évidemment dédié aussi « * à toutes celles et à tous ceux qui continuent de lutter pour que cesse cette hécatombe ».
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Publié dans le dossier
Hugues Fischer, mes 30 ans de sida
Temps de lecture : 3 minutes