« Du drôle avec du triste »

Un portrait actuel et nourri d’archives de Guy Bedos, tandis que le comédien revient à son premier métier, le théâtre.

Jean-Claude Renard  • 5 novembre 2009 abonné·es

Le garçon manque de nuance. Et le revendique : « Il y a une phrase de ce vieux réac de Sacha Guitry qui me plaît beaucoup et que je m’approprie : du jour où j’ai compris quels étaient les gens que j’exaspérais, j’avoue que j’ai tout fait pour les exaspérer ! » Ça donne le ton. Un morceau chaloupé et entonné titré « Je te plum’ploterai » dans Dragées au poivre, de Jacques Baratier, en 1963 (avec notamment Simone Signoret, Monica Vitti, Francis Blanche, Jacques Dufilho et Jean-Paul Belmondo), offre un aspect du bougre. La voix est déjà posée, chaude, fleurant la rocaille. S’y ajoutent des ingrédients de base, les rencontres de Vian, Prévert et Billetdoux. Puis, au coup d’envoi scénique, Barbara, en guise de marraine, toute de noir, plantée en coulisses, dont il rimaille la première partie des concerts. Dans cette foulée, il partage l’affiche avec Sophie Daumier.
À peine plus tard, Bedos est interviewé pour son rôle dans le film de Claude Berri, le Pistonné (1970), traitant de la guerre d’Algérie, cette guerre qu’il n’a pas voulu faire, préférant «  crever que d’aller tirer sur ceux qui ont représenté la pâte humaine des quinze premières années de ma vie » . Un éléphant, ça trompe énormément donne l’occasion d’un tête-à-tête étourdissant aux accents pied-noir avec Marthe Villalonga.
Tombent les proches. Pierre Desproges, dont la trogne trône sur la bibliothèque personnelle, Signoret, James Baldwin, «  le lieutenant de Martin Luther King » . D’une amitié l’autre, tout un cimetière qui se trimbale dans la poitrine. Reste une devise : « Faire du drôle avec du triste. » Ce sont là quelques pièces en images qui disent le puzzle, le parcours, la sensibilité de Guy Bedos. Comédien d’abord. Un métier. Humoriste aussi. Franc-tireur.

Empruntant le titre de son film à la thématique initiée par Jean-Michel Ribes en 2008 au théâtre du Rond-Point, « Rire de résistance », suivant son sujet sur ses lieux de vie, à Paris et en Corse, revenant sur les terres d’origine, dans une Algérie en noir et blanc, en correspondance avec une île odorante et ensoleillée, Dominique Gros dessine le portrait d’un homme à plusieurs casquettes, différentes facettes. Qui forment un tout cohérent. « J’essaie de ne pas faire honte à l’enfant que j’ai été, cède face caméra Guy Bedos, d e garder une certaine fraîcheur sur le monde, sur la vie, avec ce que ça implique parfois d’étonnement, de colère, de chagrin… » La réalisatrice puise dans les archives, ponctue son film d’extraits du récit autobiographique de Guy Bedos, Mémoires d’outre-mère, lus (en voix off) par le comédien lui-même, âpre évocation d’une figure maternelle, tantôt bonne fée inspiratrice, tantôt sorcière, cette figure qui serait le lit (sans baldaquin mais taloches comprises) d’une personnalité exigeante. Voire intransigeante. Qui, pour exaspérer jusqu’au bout, voudrait bien être embaumé ! Réclamant encore, sous forme de testament, en bas de son chez-lui, « une plage Bedos » . C’est pas con.

Creusant le portrait, Dominique Gros resserre ses plans sur les engagements de l’artiste, résolument à gauche, incapable de se passer d’information, assidu lecteur de presse, prêtant aussi régulièrement sa plume à Siné Hebdo. Ça a débuté comme ça : au moment de l’élection de Giscard d’Estaing, en 1974. De quoi craquer. Et introduire dans ses ­spectacles de petites parenthèses, une revue de presse très politisée, au fil des années plus longue, interminable. « Je vais devenir l’Oum Kalsoum de la revue de presse ! »
Aujourd’hui, endossant le rôle-titre du Voyage de Victor (pièce écrite par son fils Nicolas) au théâtre de la Madeleine, à Paris, le comédien dit « se mettre en réserve de la République ». Touche pause pour un artiste qui se veut surtout citoyen. Lucide, vigilant. Engagé auprès de la Ligue des droits de l’homme, de Droit au logement, signataire du manifeste contre le délit de solidarité. Avec néanmoins l’impression d’être inefficace. « Ça m’a valu beaucoup d’encouragements, de compliments, de succès aussi. Mais ça n’a servi à rien ! J’ai vitupéré le racisme des années, jusqu’à en devenir radoteur. Mais c’est comme la médecine. Tant que ce n’est pas guéri, on continue ! C’est un défaut de la presse. Ce sujet, on l’a déjà traité ! Oui, mais comme ce n’est pas guéri, on continue ! » Dont acte.

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