Leçon à méditer

Olivier Doubre  • 12 novembre 2009 abonné·es

En 1974, dans un film de Jean-Claude Bringuier [^2], Claude Lévi-Strauss déclarait : « Ces sociétés ne sont pas primitives, mais elles veulent vivre dans l’illusion qu’elles vivent exactement comme lorsque leurs ancêtres ou un être surnaturel les ont créées. […] Nous vivons dans l’histoire exactement de la même façon que ces sociétés utilisent leurs mythes, c’est-à-dire simultanément pour comprendre le passé, pour interpréter le présent et pour façonner l’avenir. » Cette affirmation de celui qu’on peut à juste titre considérer comme l’un des principaux fondateurs de l’anthropologie moderne résume bien la posture d’humanité et surtout d’humilité que Claude Lévi-Strauss n’aura eu de cesse, toute sa vie, d’adopter face à l’Autre, face aux autres. Intervenue le 30 octobre dernier, la disparition de l’ancien professeur au Collège de France, à l’âge de 101 ans, a été suivie d’un nombre impressionnant d’hommages, en provenance des milieux politiques, intellectuels et universitaires, nationaux et internationaux.

Agrégé de philosophie à l’âge de 23 ans, mais s’ennuyant très vite dans l’enseignement de sa discipline, il était parti dès 1935 au Brésil où, censé professer la sociologie à Rio de Janeiro, il se mit à organiser non sans peine des expéditions en Amazonie. Il se passionna alors pour l’ethnologie auprès de ces tribus indiennes où il vécut longuement. C’est sans doute là qu’il apprit à observer, à écouter et à considérer comme des hommes ceux que, à l’époque, la plupart des Occidentaux regardaient comme des « sauvages » et surtout comme des « arriérés ». Toute sa vie, il défendra sans relâche une exigence de responsabilité et de respect pour la diversité humaine. Mais, témoin des immenses savoirs des Indiens sur les plantes et les animaux, Claude Lévi-Strauss fut aussi l’un des premiers à affirmer l’importance de la défense de la nature et de la biodiversité. Refusant néanmoins la naïveté d’un relativisme qui voudrait voir dans ces sociétés lointaines la figure d’un paradis perdu ou en voie de disparition, il restait avant tout un scientifique, défenseur de la Raison, mais en souhaitant « réconcilier l’art et la logique, la pensée et la matière, le sensible et l’intelligible ». En ces temps de mondialisation uniformisante et destructrice des hommes et de la nature, sa pensée reste, plus que jamais, une leçon à méditer.

[^2]: Une approche de Claude Lévi-Strauss (135’), in le Siècle de Claude Lévi-Strauss (coffret 2 DVD) éd. Montparnasse, 2008.

Publié dans le dossier
La tribu des supporters
Temps de lecture : 2 minutes