« Une réforme régressive »

Nicole Borvo – présidente du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche – dénonce une remise en cause de notre modèle politique.

Michel Soudais  • 19 novembre 2009 abonné·es

Politis : Qu’est-ce qui motive votre opposition à la réforme des collectivités locales ?

Nicole Borvo i Au moment où la plupart des gens se préoccupent de leur pouvoir d’achat, de l’emploi, cette réforme est-elle une urgence ? Je ne le crois pas. Surtout quand on sait que ces collectivités servent d’amortisseur à l’incurie nationale en matière sociale et en matière de services publics. En fait, cette réforme qu’on nous présente comme indispensable et urgente ne l’est que pour le président de la République, qui a promis au grand capital – ce n’est pas un gros mot – de dégager de nouvelles marges. En clair, il propose de soustraire des services publics rendus par les collectivités locales à la population et de les verser dans l’escarcelle des groupes privés.
Pour cela, il faut enlever aux collectivités territoriales des moyens financiers – d’où la suppression de la taxe professionnelle –, les ­mettre sous surveillance, les sommer de diminuer leurs dépenses. Car si elles n’ont plus les moyens de faire marcher les services publics, ceux-ci seront assurés par le privé : la réforme, nous dit le président de la République, doit s’accompagner de la réduction d’un tiers des agents publics. Ils sont actuellement 1,7 million qui ramassent les ordures, nettoient les jardins, encadrent les crèches, assurent l’aide sociale, etc. L’investissement public aussi va en pâtir ; 73 % de celui-ci a été réalisé ces dernières années par les collectivités locales dans des constructions de lycées, de collèges, d’écoles publiques…

Peut-on vraiment parler de réforme ?

Nicolas Sarkozy a complètement dévoyé le mot. Dans la tradition française, la réforme était un progrès. Là, il s’agit de réformes régressives. Le président de la République se targue de faire des réformes à gogo. Mais ce sont des régressions par rapport aux acquis et au socle social de la France issu de la Résistance.

Après la remise en cause du modèle social français, n’assiste-t-on pas là à une remise en cause de notre modèle politique ?

Absolument. L’autonomie des collectivités locales est une longue histoire française qui a commencé avec les communes, s’est prolongée dans les départements et les régions, puis avec les lois de décentralisation. Elle connaît là un coup d’arrêt puisque, en même temps qu’on enlève du pouvoir aux collectivités locales, l’État les reprend en main en quelque sorte. La réforme comprend la suppression de la compétence générale. Cette notion, qui n’a rien d’une bizarrerie, signifie que les collectivités locales, qui ont toujours eu des compétences déléguées plus ou moins importantes, peuvent intervenir dans les domaines qu’elles considèrent utiles pour leur population. Avec sa suppression, c’en est fini de l’action culturelle des régions.

Restreindre les choix politiques, c’est remplacer la politique par la gestion ?

Tout à fait. Les collectivités locales ne seront plus que des rouages de l’État. C’est vraiment un retour en arrière par rapport aux lois de décentralisation de 1982. À ce détail près qu’avant 1982 les grands services publics de l’État fonctionnaient. Aujourd’hui, l’État se désengage de plus en plus et transfère aux collectivités territoriales un certain nombre de compétences qu’il compense chichement. C’est le cas avec le RMI : les ressources transférées par l’État aux départements correspondent à la moyenne des trois dernières années. Quand la dégradation sociale fait que le nombre de RMIstes augmente, les départements sont contraints soit de diminuer le nombre de versements, soit de prendre en charge le RMI sur d’autres ressources. Voilà comment les collectivités ont de moins en moins les moyens d’engager des actions propres qui vont au-delà de ce que l’État leur a délégué. La réforme va multiplier cela au carré.

Publié dans le dossier
La contre-révolution Sarkozy
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