Copenhague, la décadence du Nord

Geneviève Azam  • 24 décembre 2009
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Les pays riches sont arrivés à Copenhague avec leurs conseillers, experts, lobbies, munis de leur valise idéologique : le changement climatique est une opportunité, et la réponse au défi passe par la mise en place de stratégies gagnant-gagnant, win-win , exposées ad nauseam à Copenhague. Face au « changement climatique », les intérêts de tous devraient converger grâce au capitalisme vert : les intérêts des multinationales et de leur technologie verte, joints aux marchés du carbone, assureront la transition écologique nécessaire, tout en assurant la prospérité pour tous et le développement des plus pauvres…
Or, l’irruption de la crise climatique perturbe ce jeu « gagnant-gagnant ». Cette manière de penser « win-win » habite la pensée économique libérale depuis Ricardo au XIXe siècle, lui qui voyait dans le libre-échange un jeu gagnant-gagnant : dans l’échange international gouverné par le libre-échange, tout le monde gagne. L’autre version du jeu gagnant-gagnant, c’est la politique de croissance, notamment celle qui fut promue au Nord après la Seconde Guerre mondiale dans le « compromis fordiste » : la croissance permet l’augmentation des profits et des salaires. Profit économique et justice sociale peuvent ainsi cheminer ensemble. Face à la crise des années 1970, le néolibéralisme a reformulé le jeu en additionnant politique de croissance et libre-échange généralisé, avec la promesse d’une mondialisation heureuse. Croissance et immersion dans le marché mondial devaient assurer la prospérité généralisée et venir à bout de la pauvreté. Dans ce monde fantastique, les perdants n’ont qu’à s’en prendre à leur difficulté d’adaptation au grand jeu de la richesse généralisée. Pourtant, ce discours n’a pas pu s’imposer à Copenhague car deux intrus de taille sont venus s’infiltrer dans les débats, des perdants oubliés jusqu’ici dans l’euphorie d’une accumulation illimitée : les pays du Sud, ou plutôt les peuples du Sud, et la nature.

La globalité de la crise écologique exige en effet une réponse incluant les pays du Sud, y compris les plus déshérités. La dette écologique, le sacrifice de la nature et sa colonisation, niés dans les précédents jeux gagnant-gagnant, sont là comme une réalité surplombante, ancienne, et nul ne peut la contester. Les pays du Sud l’ont sans cesse rappelé : entre 75 % et 90 % de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère sont le fait des pays industrialisés. Au-delà des modèles climatiques, des chiffres et prospectives, le chaos climatique produit déjà des effets concrets dans de nombreux pays, avec les souffrances qui l’accompagnent. De surcroît, les conditions mêmes de la poursuite de l’accumulation tendent à se déplacer : nombre de biens essentiels, la biodiversité, les forêts primaires, des terres encore disponibles, des ressources naturelles, appartiennent aux pays ou régions non industrialisées, et l’accaparement de ces biens communs par les multinationales du Nord ne va pas de soi. La voix de ces perdants, aux accents universels, s’est immiscée dans le jeu gagnant-gagnant de la tribu des riches, dans la conférence et dans les mobilisations extérieures.

L’autre grand perdant, la nature, ce tiers exclu des modèles de croissance, s’impose également comme réalité surplombante : « On ne négocie pas avec la nature » , clamaient de nombreux jeunes manifestants pendant la manifestation du 12 décembre à Copenhague. Les postures idéologiques et les intérêts particuliers résistent mal à cette évidence. C’est si vrai que toutes les fausses solutions imaginées pour poursuivre tranquillement ce jeu mortifère, nucléaire, agrocarburants, OGM résistant au changement climatique, stockage du carbone, et tout l’arsenal du geoengeneering , ne peuvent emporter l’adhésion que des lobbies qui les promeuvent et des États qui les protègent. À vrai dire, les États des pays riches ressemblent à de vieux rentiers décadents, agitant infantilement leurs jouets technologiques et leur finance carbone, et n’aspirant qu’à conserver leur rente. Ce sont les mouvements sociaux et les pays du Sud qui auront marqué ce moment de Copenhague, en rappelant que cette conférence n’était pas un jeu, et que, si rien n’est fait, la liste des perdants ne pourra que s’allonger.

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