Langues d’Ogres

Les Ogres de Barback publient le deuxième volet des aventures de Pitt Ocha. Un disque-livre réfléchi et rythmé entre conte initiatique et carnet de voyage.

Ingrid Merckx  • 24 décembre 2009 abonné·es

Quand les Ogres de Barback ont commencé à se faire connaître, c’était un running gag à chaque concert : « Et encore une chanson triste ! », annonçaient les quatre frères et sœurs, les yeux humides, en enchaînant leurs titres. Un côté slave doublé d’un intérêt appuyé pour les humbles… Quinze ans plus tard, l’esprit est le même en nettement plus allègre à écouter Pitt Ocha au pays des mille collines. « Lundi, mardi, fête ! » Les Ogres sont devenus parents, et le rythme des chansons s’en ressent. Comme sur « Menteries », où un accordéon danse avec une petite « ogrillonne » qui clame : « Raconter me rend heureuse/même si ce sont des sottises. » Ou sur « Papiyouchka-Polka »  : « Paris, Berlin, Moscou et Rome, et même jusqu’à Riga…/Ils tournent tous comme des rois ! » Les textes ne sont pas légers pour autant : « Mais s’il continue à toucher à mon école/le président à la casserole ! » , menace Pitt Ocha, personnage créé en 2003 pour un premier album destiné à la jeune classe, mais pas seulement.

Le Pays des mille collines constitue le deuxième volet des aventures de ce petit bonhomme qui jongle avec les sons en regardant autour de lui. Soit 17 titres conçus comme les étapes d’un voyage. Chaque escale étant l’occasion d’un bœuf avec ses hôtes, comme les Cowboys fringants au Québec (« Chanson d’hiver »), Tiken Jah Fakoly et Madina N’Diaye au Mali (« Invitation »), Gabriel Yacoub dans le Berry (« Pile ou face ? »)… Et de tourner une observation en musique. Quel traitement pour un marronnier patraque ? « Donnez-lui des pastilles/des gouttes sous les racines/un peu de Smecta/jamais de chocolat » (« les Arbres malades »). Le « bon » sens existe-t-il ? « Tout est tout et son contraire/tout est le contraire de tout » articulent des ogrillons perspicaces derrière Fredo, le chanteur, tandis que le piano maintient un débit tenace dans un morceau qui reste longtemps en tête.

Entre conte initiatique moderne et carnet de voyage, cet album (toujours produit et diffusé par le propre label, des Ogres, Irfan) comprend aussi une le récit d’une étape ( Pitt Ocha au Rwanda ) et un livret illustrés. Hommages au style de l’hôte, certains textes comportent même des passages en langue étrangère : mongol (« Bambaïa »), rom (« Utule, micutule ») ou arménien (« Marchand de rêves »). « Et peu m’importe qu’ils comprennent/les douces paroles de ma chanson/Si votre cœur les entraîne/si l’on s’enchante à l’unisson. » Avec leur conception bohème et emballante de la famille et des rencontres, ce qui frappe toujours autant avec les Ogres, c’est leur sens du collectif.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes

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