Lettres de sang

La Pléiade propose une anthologie du théâtre élisabéthain. L’occasion de redécouvrir
les contemporains
de Shakespeare, éclipsés par sa gloire.

Gilles Costaz  • 17 décembre 2009 abonné·es

Shakespeare a tout pris. Il a vandalisé la postérité. Rares sont les auteurs de son temps qui ont survécu à l’ombre de son génie écrasant. Trois spécialistes du théâtre anglais, Line Cottegnies, François Laroque et Jean-Marie Maguin, en sont manifestement marris. Publiant leur imposante anthologie du ­Théâtre élisabéthain (3 500 pages), ils se désolent de l’oubli dans lequel sont tombés ceux qui tenaient avec le grand Will le haut de l’affiche au temps de la reine Elisabeth Ire et des monarques suivants, soit en gros de 1500 à 1640. Pour ces spécialistes, l’Angleterre d’aujourd’hui reconsidère ces décennies élisabéthaine et jacobéenne. « Sans remettre en cause le culte voué à Shakespeare, le renouveau des études historicistes depuis les années 1980, qui a lui-même succédé à la vague structuraliste antérieure, a permis dans les pays anglophones de replacer le dramaturge dans son contexte d’apparition, bref d’en faire le contemporain de ses contemporains » , écrivent-ils.

Ils soulignent que la production dramatique a été alors considérable : environ mille cinq cents pièces, dont six cents ont été perdues ou gardées de façon fragmentaire. Cela vaut la peine d’aller y regarder de plus près. En fait – nos anthologistes le reconnaissent –, une partie de ce répertoire est jouée en France. Volpone , de Ben Jonson, est une œuvre fort célèbre (mais elle a toujours été jouée dans une double adaptation de Stefan Zweig et Jules Romains, la voilà dans une nouvelle traduction, sans distorsion). Les tragédies de Marlowe ont été mises en scène par Sobel, Seide et bien d’autres. Dommage qu’elle soit une putain , de John Ford, a fait l’objet de spectacles de Jérôme Savary et d’Yves Beaunesne récemment… Nous n’en avons pas moins beaucoup à apprendre, et relire certaines de ces œuvres dans des textes français les éclaire d’une nouvelle compréhension.
Pour cette édition, une armée de traducteurs est intervenue, nous proposant leurs versions du Chevalier de l’ardent pilon , de Beaumont et Fletcher, Une femme tuée par la bonté , de Heywood, le Malcontent, de Marston, les Antipodes , de Brome, pour ne citer que quelques-unes des vingt-neuf pièces réunies. Le plus souvent, c’est un fleuve de sang, qui reflète une société livrée aux appétits meurtriers d’ambitieux sans frein. Mais quelle élégance stylistique dans le sanglant !

Culture
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