Philosophe militant

Denis Sieffert  • 21 janvier 2010 abonné·es

L’annonce de la mort de Daniel Bensaïd nous est parvenue la semaine dernière à l’instant même où l’on bouclait notre journal. Pour lui rendre hommage, nous avons sollicité Philippe Corcuff, qui, homme de la génération suivante, conjugue comme lui une production intellectuelle exigeante et un engagement militant. Mais j’ai souhaité, au nom de Politis , évoquer quelques souvenirs plus personnels. À vrai dire, j’ai connu Daniel Bensaïd deux fois. D’abord à distance, comme quelqu’un que l’on croisait et recroisait au gré des manifestations et des meetings, ou que l’on lisait. C’étaient les années 1970. Et c’était une autre vie. Mes engagements de l’époque m’invitaient fermement à porter sur ses écrits et sur ses positions un regard plus que critique. Difficile dans ces conditions de connaître l’homme.

C’est avec Politis qu’un lien plus personnel s’est créé. De cette autre époque, plus récente, je retiens sa disponibilité et sa très grande gentillesse. Combien de fois l’avons-nous appelé à la dernière minute pour lui demander une tribune ou une contribution à un dossier. Je n’ai pas souvenir qu’une seule fois il ait refusé. Ni qu’il ait bâclé un texte simplement pour honorer un engagement. Le retour était presque toujours suivi, quelques minutes plus tard, d’une ou deux corrections qu’il souhaitait ajouter après relecture, témoignant de sa rigueur et de son perfectionnisme. Le tout assorti de ses excuses pour le « retard ». Au cours des dernières années, je l’ai de nombreuses fois invité à venir me (ou nous) voir
– c’était parfois aussi rue Oberkampf – autour d’un café ou d’un déjeuner pour discuter. Ce pouvait être à propos d’une prise de position de la LCR, ou pour un éclairage sur la situation en France ou en Amérique latine, sur laquelle il était intarissable.

Nous avons eu plusieurs discussions de ce genre quand le projet de création du NPA a pris forme, et lorsque nous avons lancé, en mai 2008, l’Appel de Politis. Je cherchais à comprendre. Il tentait de m’expliquer… En août 2008, il m’avait invité à débattre avec lui de ces questions dans le cadre de la dernière université d’été de la LCR. Il s’était montré très attentif à ce que je puisse défendre mon point de vue dans les meilleures conditions. Et puis il y avait, évidemment, les retrouvailles à chaque manifestation pour les droits des Palestiniens. Bien entendu, cette brève évocation personnelle n’ajoute rien à l’essentiel : l’auteur prolixe, l’intellectuel brillant, le philosophe marxiste, le spécialiste de Walter Benjamin et – indissociablement – le militant. La grande modestie du personnage résulte sans doute naturellement de cette alliance entre l’intellectuel et le militant, et de la conscience aiguë qu’il avait de participer à une histoire collective. Si, malgré tout, au bas de ces quelques lignes, il me fallait ajouter un ou deux mots le concernant, ce seraient peut-être « élégance » et « fidélité » à ses idées, c’est-à-dire à ses engagements sociaux.

Idées
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