Roman spectral

« Entrée des fantômes », de Jean-Jacques Schuhl, déçoit, faute d’une langue ou d’un point de vue qui transcendent le récit.

Christophe Kantcheff  • 21 janvier 2010 abonné·es

Jean-Jacques Schuhl est un écrivain à éclipses. Après avoir publié deux petits livres au cours des années 1970 dans la riche collection de Georges Lambrichs, « le Chemin », Jean-Jacques Schuhl avait surpris son monde en revenant, en 2000, avec Ingrid Caven , qui allait raffler le Goncourt au nez et à la barbe des habituels et plus conformistes prétendants. Ingrid Caven , du nom de la comédienne allemande qui partage sa vie, était une saisissante traversée des années 1970 en compagnie d’un petit cénacle d’artistes, talentueux, excessifs et romanesques, liés par l’amitié et le travail, dont le centre était Ingrid Caven, et qui comptait notamment Fassbinder, le producteur Jean-Pierre Rassam (Mazar dans le livre) ou encore Yves Saint-Laurent…

L’annonce d’un nouveau livre de l’écrivain était donc en soi un événement. Hélas, l’événement se dégonfle rapidement à la lecture d’ Entrée des fantômes. Ce roman, contrairement au précédent, est totalement centré sur la personne de l’écrivain, ou plus exactement sur son double de papier (dénommé Charles, comme dans Ingrid Caven ), et sur sa vie fantasmatique ou onirique. Pas d’intrigue pour faire marcher la mécaanique, mais une suite d’images souvent fantastiques, et des considérations plus ou moins réelles ou sérieuses sur l’écrivain qu’il est.

On a lu des œuvres dotées de ces « ingrédients » qui atteignaient des sommets. Alors pourquoi Entrée des fantômes donne-t-il l’impression de ne jamais décoller ? À cause d’une absence de poésie, de vibration de la langue, qui relègue ce roman, potentiellement brillant, à l’état d’astre terne. Un exemple : il s’ouvre sur une vision bunuelienne, un mannequin et un cardinal dans le hall d’un hôtel, puis le mannequin s’embarque dans une limousine pour une traversée nocturne d’une grande ville. Si l’intention est transparente, celle d’instaurer un climat de polar étrange, digne du Dr Mabuse, le danger et le mystère peinent à s’incarner.

Reconnaissons également que le côté dandy branché du personnage de Charles peut finir par irriter. Non que la mondanité soit évidemment à proscrire (Schuhl cite d’ailleurs Proust lui-même). Mais, comme pour tous les univers sociaux investis par la littérature, elle demande qu’un point de vue la rehausse, la transcende ou la pénètre. Elle n’est ici, même perçue sous un jour fantasmatique, qu’un attribut qui caractérise le personnage, et n’est pas soutenue par une vision suffisamment singulière du rôle qu’il y joue en tant qu’écrivain. Paradoxe : les fantômes de Jean-Jacques Schuhl n’ont pas assez de chair pour venir nous hanter.

Culture
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