Le monde entier dans la lucarne

La 23e édition
du Festival international des programmes audiovisuels (Fipa)
a rendu compte
de l’état de la création destinée à la télévision.

Jean-Claude Renard  • 4 février 2010 abonné·es

Passons sur les films, fictions ou documentaires, déjà diffusés ( 100 000 Cercueils, le scandale de l’amiante, de José Bourgarel ; 1989, l’Élysée au pied du mur, de Patrick Barbéris) ou qui le seront certainement dans les mois à venir ( Musulmans de France, de Karim Miské, ou le remarquable Scientologie, la vérité sur un mensonge, de Jean-Charles Deniau). La 23e édition du Festival international des programmes audiovisuels (Fipa), tenue à Biarritz du 26 au 31 janvier, a rendu sa copie. Proprement.

Cent trente programmes, cinq sections compétitives. Accessible au grand public, le festival présente l’intérêt de donner à voir des films qui existent, circulent, mais risquent de ne pas être diffusés à la télévision, faute d’acquéreurs (c’est-à-dire les chaînes). Affaire de frilosité et d’idées formatées. En attendant, s’il permet de jeter un coup d’œil sur la vitalité des genres (en tout cas pour le documentaire, la fiction n’étant pas le point fort du festival), le Fipa se fait le baromètre du monde tel qu’il est, entre hier et aujourd’hui.

Avec Algérie, images d’un combat, Jérôme Laffont puise ainsi dans les archives encombrées de l’armée française, exhumant notamment des images tournées par Philippe de Broca en 1956, couvrant une opération militaire, avec son lot de ­cadavres, d’arrestations, de populations déplacées, réactivant aussi les images de propagande, avec le soleil, la mer, des écoles, des routes modernes et « des usines pour les hommes. Voilà ce qu’en un siècle le génie occidental, le génie français, nos ingénieurs ont implanté en Algérie. Soudain, répondant à un signal mystérieux, des fanatiques ambitieux pensent pouvoir détruire la civilisation occidentale. En incendiant des écoles, des fermes, des autocars. En tuant ». Les armoires de l’armée regorgent de pareilles fictions tantôt niant la guerre, tantôt valorisant l’action coloniale.

En quête d’images moins officielles, Jérôme Laffont livre sa rencontre avec René Vautier, l’un des rares à avoir filmé auprès des combattants de l’Armée de libération nationale (ALN), dont les images furent interdites alors. Le réalisateur retrace son itinéraire pavé d’embûches, en même temps qu’il s’interroge sur l’engagement cinématographique.
Exhumer, c’est aussi le parti pris de José-Luis Penafuerte, tentant de rassembler les pièces du puzzle de la dictature franquiste, étouffée depuis trente ans, le silence ayant seulement été levé par une loi en décembre 2007. Les Chemins de la mémoire se déploie comme un voyage contre l’oubli, jalonné de fosses, de camps, de prisons, d’exils. Exil aussi, mais intérieur, dans la communauté Naxi, en Chine, que dépeint Yuan He dans Father and Son , entre un vieil homme et son fils, déficient mental. Exils intérieurs encore, filmés par Alessandra Speciale, pour les jeunes femmes immigrées d’Amérique du Sud, clandestines, au chevet des vieilles mammas, pour une aide à domicile.

Dans un autre registre, on a pu découvrir aussi un film autrichien jubilatoire, Kick-Off, d’Hüseyin Tabak, consacré à la Coupe du monde de football des sans-abri. Plus qu’une compétition, dans un film additionnant subtilement les heures d’entraînement, les matchs et les confessions, l’enjeu est celui d’un retour à la vie « normale », aux sentiments perdus, comme la fierté, le respect, la confiance en soi.

Autre décor, plus circonscrit et rapproché dans ses plans, faute d’espace, celui d’une prison polonaise. Bad Boys, cellule 425, de Janusz Mrozowski, relate le quotidien de sept récidivistes condamnés à de longues peines (entre 9 et 25 ans), partageant une geôle de 15 m2. Le réalisateur a été autorisé par l’administration pénitentiaire à filmer dix jours durant. Des heures de ménage, de cuisine, de palabres anodines, de regards vides vers l’extérieur. Et quand la petite caméra vidéo sort de la cellule, elle fixe le potager aux pieds des murs, la cour de promenade, la salle de parloir, le yo-yo le long des bâtiments… Contrainte temporelle et spatiale au résultat plastique époustouflant.
D’un film à l’autre, pas grand-chose ne filtre sur les acquisitions des chaînes. Mais on ne peut guère parler de crise d’écriture ou d’idées. Reste juste à diffuser ces idées.

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