Unis contre la casse

Des syndicats et des acteurs du milieu artistique se regroupent pour combattre les attaques du gouvernement envers le service public
de la culture.

Olivier Doubre  • 4 février 2010 abonné·es
Unis contre la casse
© Photo : Guillot/AFP

Présentant ses vœux aux personnels de son ministère et aux acteurs culturels, Frédéric Mitterrand a placé l’année 2010 sous le signe d’un « nouvel essor de la politique de décentralisation » . Et de vanter une nouvelle « montée en puissance de cette décentralisation culturelle » qui, selon lui, a conduit la rue de Valois, siège du ministère, à « moderniser ses structures pour devenir plus efficace et plus ergonomique » (sic).
Bel exemple de communication qui évoque, dans un langage très diplomatique, les récentes restructurations de nombreux services du ministère – extrêmement critiquées par la plupart des syndicats –, la réforme en cours des collectivités territoriales, notamment la suppression de la taxe professionnelle, et surtout la fameuse RGPP (Révision générale des politiques publiques), dont l’objectif déclaré est, selon l’adage du mi­nistre du Budget, Éric Woerth, « faire mieux avec moins »…

Les premiers vœux du ministre de la Culture depuis sa nomination n’ont pas, pour la première fois dans l’histoire de la rue de Valois, été présentés de vive voix, mais transmis par Internet sous la forme d’un petit film très léché. Le personnel y a vu la confirmation du refus de Frédéric Mitterrand, depuis plusieurs semaines, de le rencontrer, alors que le dur mouvement de grève des fonctionnaires des musées nationaux venait à peine de s’éteindre après avoir – de manière inédite – réussi à fermer durant plusieurs jours de grands musées parisiens tels que le Louvre, Orsay ou le Centre Pompidou.

Les relations semblent donc très dégradées entre le ministre et les personnels, et avec nombre d’acteurs de la culture. De fait, un grand nombre d’organisations syndicales du secteur ont réuni plus de quatre cents personnes le 25 janvier au Théâtre de la Colline, à Paris, pour dénoncer le « danger » qui pèse aujourd’hui en France sur le service public de la culture, et plus généralement sur « l’art, la culture et la connaissance »…

Cette réunion faisait suite à celle du 22 septembre dernier au théâtre de Chaillot, et surtout à la grande assemblée générale qui avait eu lieu durant le festival d’Avignon en juillet dernier. Campagne des régionales oblige, des représentants de la plupart des partis de gauche ont pris la parole pour donner l’assurance de leur soutien. Mais il s’agissait, cette fois, de réfléchir aux modalités pour initie r une mobilisation large en réaction au *« mépris » et aux* « attaques » contre la culture par le pouvoir actuel, pétri d’idéologie néolibérale.

Organisée à l’appel de la fédération CGT-Spectacle, de la CGT-Culture, du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), du Cipac (Fédération des professionnels du secteur de l’art contemporain), de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (Ufisc) et du tout récent Cracc Île-de-France (Comité régional d’action pour la culture et la connaissance, dont les organisations citées avant font également partie), cette assemblée générale était majoritairement composée de professionnels du spectacle vivant et de l’art contemporain, le cinéma et l’audiovisuel étant beaucoup moins représentés. Néanmoins, la volonté clairement affichée était de dépasser les traditionnelles divisions et le manque de dialogue qui existe parfois entre les différents secteurs et professions du champ culturel.

De ce point de vue, il faut souligner l’avancée que représente la création du Cracc, qui rassemble des organisations syndicales (on y trouve notamment SUD-Culture, des fédérations de cadres CFE-CGC, et des syndicats d’artistes-interprètes, de musiciens, de plasticiens, etc.), mais aussi ­d’autres acteurs tels que Sauvons la recherche ou la Coordination des intermittents et précaires (CIP). Des comités du même type sont en cours de formation dans différentes régions.

De nombreuses interventions ont d’abord pointé le véritable « état de déliquescence » du ministère, notamment celle du secrétaire général de la CGT-Culture, Nicolas Monquaut, qui a rendu compte de la « destruction » de nombreuses directions générales (comme celles des Musées, des Arts plastiques, du Livre et de la lecture, etc.) et montré comment la recherche incessante d’économies budgétaires continue de frapper la plupart des opérateurs du ministère, comme les écoles d’arts, les conservatoires, les scènes nationales, etc. Le plus grave est que cette politique aux seules motivations comptables se caractérise par « une totale absence de contenu culturel » . Et de prendre l’exemple de la « lettre de mission » du Centre Pompidou, où l’on demande uniquement, selon Nicolas Monquaut, de « supprimer des emplois et de développer des ressources propres »…

L’autre grand motif d’inquiétude et de colère portait sur la réforme à venir des collectivités territoriales et, liée à celle-ci, « l’érosion budgétaire [qui] tend à asphyxier notre potentiel de création et nos possibilités de diffusion ». Le Syndeac, qui représente principalement les responsables de structures de spectacle vivant, a ainsi vivement dénoncé, par la voix de son président, François Le Pillouer, la « mise à sac de la décentralisation culturelle » , alors que les collectivités locales « financent à elles seules près de 70% de la culture en France » . Et d’égrener la liste déjà longue des départements où les enveloppes budgétaires dédiées à la culture se trouvent réduites à peau de chagrin…

Le désir d’unité semblait en tout cas très fort chez tous les participants, notamment du fait du « dénigrement général » ressenti à leur égard à travers cette politique d’attaques généralisées. Des propositions d’actions communes ont ainsi emporté une forte approbation, notamment l’organisation d’une journée d’action dans tout le champ culturel, fixée au 18 février, et le principe d’une pétition destinée également à la signature du public avant ou après les ­spectacles, les concerts, etc. Nombre d’intervenants ont en effet rappelé la nécessité d’explication envers l’opinion, afin de contrer la « sempiternelle accusation de corporatisme, alors que cette mobilisation tend à sauvegarder les arts et la culture, bien commun de l’humanité », selon Jacques Fornon, responsable du Cracc.

Un représentant de la CIP a néanmoins pointé le fait que la question des droits sociaux et de l’intermittence avait été trop peu abordée au cours des discussions, « alors que nombre de spectacles ou de productions qui se faisaient autrefois avec des intermittents se font aujourd’hui avec des gens au RSA ». Les syndicats et le Cracc ont rappelé que les textes de revendication n’avaient jamais oublié cette « question cruciale », qui le deviendra d’autant plus que les négociations du régime de l’intermittence reprendront fin 2010 pour une signature en mars 2011. Si l’unité n’est pas toujours spontanément aisée, les acteurs du champ de la culture semblent aujourd’hui déterminés à initier un mouvement aussi large que possible. Rendez-vous le 18 février, pour un premier test.

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