Cuba, entretien avec Janette Habel

Janette Habel* revient sur la situation du régime aux prises avec un problème nouveau pour lui.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 18 mars 2010 abonné·es
Cuba, entretien avec Janette Habel
© PHOTO: AFP/ARANGUA *Janette Habel est universitaire, spécialiste de l’Amérique latine contemporaine.

Politis : Un prisonnier politique vient de mourir au terme d’une longue grève de la faim ; un autre est dans un état très grave. Comment en est-on arrivé là ?

Janette Habel : Le gouvernement cubain considère les dissidents comme des « mercenaires » armés et financés par l’impérialisme. Fidel Castro n’a jamais accepté l’existence de prisonniers politiques, de prisonniers d’opinion. Ce déni fait partie de la stratégie d’autodéfense élaborée par le leader cubain pour affronter un demi-siècle d’agressions armées et de provocations de la part de Washington. Une stratégie dont un élément clé est le système politique de parti unique qui règne dans l’île. Le parti communiste cubain, seul parti politique autorisé, est présenté dans la terminologie officielle comme le parti de la Nation, garant de l’unité du peuple pour résister face à l’ennemi. Tout autre courant politique n’a donc pas droit de cité, et tout opposant au régime est, dans ces conditions, suspect d’être un agent à la solde de l’étranger, un traître à la patrie, un gusano. À Cuba, le monolithisme est considéré comme la première condition de la résistance.
Mais la direction cubaine s’est trouvée cette fois dans une situation embarrassante : elle n’a pas eu à faire face à des actions violentes, qu’il s’agisse de sabotages, de prises d’otages, de trafics, de complots ou de poses de bombes. Elle s’est confrontée à un homme seul, prisonnier, recourant à une forme de lutte ultime mais pacifique, faisant de son suicide une accusation. Comment expliquer que des « mercenaires » se laissent mourir de faim si ce n’est par la force de leurs convictions ?

Faut-il parler d’un durcissement du régime cubain ?

Non, mais il y a une fragilité plus grande qui s’explique par l’aggravation des difficultés économiques et commerciales, et les désastres consécutifs aux nombreux cyclones. Dans ce contexte, les réformes économiques envisagées par Raoul Castro supposent le maintien de la centralité du pouvoir. Quant au nombre de prisonniers politiques, il est estimé aujourd’hui à 200 par la Commission des droits de l’homme cubaine (illégale mais tolérée). Par ailleurs, il y a un moratoire de fait sur la peine de mort. L’ancien ministre des Affaires étrangères cubain Felipe Perez Roque avait ratifié en 2008 le Pacte international des droits civils et politiques. Mais il a été destitué depuis.

Cela dit, Cuba est sous les projecteurs des médias internationaux. On ne parle pas ou peu, en tout cas beaucoup moins, des syndicalistes assassinés en Colombie, ou des résistants honduriens tués lors du coup d’État. Cette politique de deux poids, deux mesures est mieux perçue et plus facilement dénoncée en Amérique latine qu’en Europe, comme le montre la réaction du président brésilien Lula, défendant la réaction du gouvernement cubain face aux grèves de la faim des prisonniers.

Qui sont ces prisonniers, et que leur reproche-t-on ?

Qui sont-ils vraiment ? C’est difficile à savoir. Vraisemblablement ce sont des partisans d’un changement complet de régime accusés par le gouvernement d’avoir des liens avec la section d’Intérêts américaine qui fait office d’ambassade. On leur reproche une série de délits. Reste que leur grève de la faim est bien une grève politique qui a mis le gouvernement cubain en difficulté sur le plan international, conduisant le Président, Raoul Castro, à présenter ses regrets.

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