Élection à risque

Alors que se tient la présidentielle, l’inquiétude est grande sur les conséquences d’une fraude massive.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 4 mars 2010 abonné·es

Àprès un premier report dans un contexte politique tendu, les Togolais sont appelés aux urnes jeudi. Le dispositif même de ce scrutin pluraliste, avec sept candidats en lice, fait l’objet de critiques. « Les risques sont majeurs, une élection fraudée sera contestée et réprimée avec violence », affirme Amina Kirsch, représentante du Front républicain pour l’alternance et la démocratie, fille et coordinatrice de campagne de Kofi Yamgnane, dont la Cour constitutionnelle togolaise a rejeté la candidature pour défaut administratif. L’opposition dénonce de nombreuses irrégularités, certains candidats suspendant même leur participation. « Il y a une opacité totale sur la gestion des fichiers, précise Brigitte Ameganvi, vice-présidente de l’organisation de veille sur le processus électoral Synergie Togo, nous ne savons même pas ce que la justice a fait des recours présentés. » Le mode de scrutin, uninominal et majoritaire à un tour, est également accusé d’avantager Faure Gnassingbé, président sortant du Rassemblement du peuple togolais, qui déclarait, il y a quelques semaines, que cette élection était un «  test de légitimité » . Selon Amina Kirsch : « Il ne représente pas plus de 7 à 10 % des intentions de vote ».

Au sein de la population, le scrutin fait resurgir la crainte de nouvelles violences. Porté au pouvoir par l’armée à la mort de son père, le général Eyadéma, 42 ans au pouvoir, Faure Gnassingbé est élu en 2005 au cours d’un scrutin controversé. La répression qui s’ensuit fait plus de 500 morts et 40 000 réfugiés. « L’Union européenne finance le scrutin pour 12 millions d’euros, précise Amina Kirsh, elle doit s’assurer du bon déroulement de ces élections. » Informée du risque de fraude, l’UE a déployé 130 observateurs sur place pour 6 000 bureaux de vote. À l’approche des élections, la violence politique connaît un renouveau. Le major Bilizim et le colonel Damehane, des fidèles de la dynastie Gnassingbé, auteurs présumés de crimes contre l’humanité, ont été récemment placés à la tête de la Force Sécurité Élection présidentielle (Fosep).

La sécurisation de l’élection est mise en œuvre par l’Agence française de développement, qui forme et équipe la Fosep. Les régimes français ont entériné les changements de constitution « qui ont permis au père Gnassingbé de rester en place à vie, et à son fils d’accéder au trône. » Pour la fille du candidat malheureux, la Françafrique est prête à imposer Faure au prix de massacres pour maintenir « la paix, l’ordre et la sécurité garantissant ses intérêts dans la région » . Karl Gaba, porte-parole de Jean-Pierre Fabre, candidat de l’Union des forces de changement, note des contradictions dans le discours européen mais estime que la France « va faire preuve de neutralité et attendre ». Après avoir perdu la concession du port de Lomé au profit du groupe Progosa « un jour de mauvaise humeur du Président Eyadéma » , le groupe Bolloré l’a récupéré il y a trois mois. Un cadeau pour s’attirer les bonnes grâces de la France, selon Amina Kirsh.

Dans son discours de Libreville, Nicolas Sarkozy a annoncé la fin de la Francafrique, « un avertissement pour le pouvoir », d’autant que le Togo pèse peu mais présente une occasion de « sceller la rupture et de se valoriser sur la scène internationale » . En Afrique, en 2009, la France a validé élections frauduleuses et coups d’État de Madagascar au Niger. Amina Kirsh espère tout de même : « Le Togo a inauguré les coups d’État africains, et quasi inauguré la monarchie républicaine par la passation de pouvoir de père en fils […], il serait heureux qu’il inaugure l’alternance par la voie démocratique. »

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