Santé mentale : «Le nombre d’enfants atteints augmente»

Jean-René Buisson*, du Conseil économique, social et environnemental, alerte sur le retard de la France en matière de pédopsychiatrie et insiste sur le rôle essentiel de l’école en termes de dépistage.

Ingrid Merckx  • 18 mars 2010 abonné·es
Santé mentale : «Le nombre d’enfants atteints augmente»
© PHOTO: AFP/HUGUEN * Président de l’Association nationale des industries agroalimentaires (Ania), Jean-René Buisson est membre du groupe des entreprises privées et membre du groupe des affaires sociales au CES.

Politis : Alors que la question de la santé mentale n’est abordée que dans les textes pénaux, le Conseil économique, social et environnemental (CES) a publié le 24 février un avis sur la pédopsychiatrie, question pour laquelle il s’est autosaisi. Pourquoi ce texte ?

Jean-René Buisson : Pour tirer un signal d’alarme. Nous sommes quelques-uns au sein du CES à être directement concernés – je suis moi-même père de trois enfants autistes, un garçon et des jumelles. La loi de février 2005, qui reconnaît les troubles cognitifs et psychiques comme un handicap, a cassé des tabous, simplifié des procédures, permis la création des maisons départementales du handicap… Mais la France reste très en retard en matière de dépistage, de prise en charge et d’intégration scolaire, alors que c’est une obligation légale ! Le CES a voulu faire le point sur une situation qui n’est pas bonne et proposer des solutions qui peuvent être mises en place rapidement malgré le contexte de restriction des dépenses publiques.

Comment expliquer l’insuffisance de données épidémiologiques sur la pédopsychiatrie ?

Les enquêtes sont parcellaires et ne sont pas suivies d’études statistiques. Les troubles psychiatriques relèvent souvent d’un diagnostic empirique. Sur le chiffre de 1 enfant concerné sur 8, tout le monde tombe d’accord, mais quand nous avons demandé à Didier Houssin, directeur général de la Santé, à combien il évaluait le nombre d’enfants présentant des troubles, il a évoqué une fourchette allant de 7 % à 25 % ! Non seulement elle est large, mais 7 %, c’est déjà énorme ! L’avis du CES porte sur les troubles psychiatriques, qu’il distingue des souffrances psychiques. Le diagnostic est difficile à établir, notamment en pleine crise d’adolescence, et doit être réalisé par des médecins.

On note une augmentation de 7 % du recours à la pédopsychiatrie. Pourquoi ?

On diagnostique davantage, notamment des troubles qui n’étaient pas repérés avant, comme l’hyperactivité, ou qui disposaient d’une batterie d’analyses très limitée, comme l’autisme. Les parents sont moins réticents à consulter. La pression scolaire est telle qu’on consulte plus vite pour éviter des « décrochages ». Enfin, la sensibilisation est meilleure. Mais, globalement, le nombre d’enfants et d’adolescents atteints de troubles augmente. La vie est plus complexe mais, surtout, l’école impose un système hypersélectif et contraignant de plus en plus tôt. L’avis ne va pas jusqu’à affirmer le lien avec l’accroissement des troubles anxieux. D’une part, parce que la question des pressions scolaires mériterait une enquête particulière, et se heurte à des dogmatismes. D’autre part, parce qu’on a préféré mettre l’accent sur la responsabilité de l’école concernant l’intégration des enfants handicapés, et sur son rôle essentiel en matière de dépistage et de prévention.

Quel est le rôle de l’école ?

Les troubles psychiatriques peuvent être détectés de plus en plus tôt : à 3 ans, en collectivités, des comportements spécifiques ou a-normaux peuvent apparaître. Des maladies comme l’autisme peuvent être prédiagnostiquées plus tôt encore, vers 1 an et demi ou 2 ans. C’est donc sur la petite enfance, en crèche et en maternelle, qu’il faut faire porter les premiers efforts. Il faut une sensibilisation très forte du corps enseignant et des directeurs d’établissement, mais aussi renforcer le nombre de médecins et d’infirmières scolaires, et former les éducateurs. Tous ont un rôle d’alerte. Après, il faut que les parents aillent chercher le diagnostic, et là, ils se trouvent pris dans un goulet d’étranglement et se tournent très souvent vers l’hôpital public, où les délais sont considérables : neuf mois à un an pour un premier rendez-vous…

Quelle place pour la pédopsychiatrie dans les études de médecine et dans la formation des personnels de l’éducation ?

Dans les études de médecine, elle est ridicule : l’avis recommande d’ailleurs d’y consacrer un semestre d’internat. Dans la formation des personnels de l’éducation, elle est inexistante. C’est pourquoi l’actuel projet de suppression de petites sections et des IUFM ne va pas dans le bon sens !

**Trois quarts des ressources financières vont à l’hôpital alors que 97 % de la prise en charge se ferait en ambulatoire. Pourquoi ce décalage ?
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Ce qui coûte très cher à la collectivité, c’est le prix de la journée à l’hôpital. On a tout intérêt à développer l’ambulatoire, d’autant qu’on a pu observer qu’un enfant handicapé accueilli en milieu ordinaire faisait des progrès considérables et apportait énormément au groupe. C’est la meilleure solution quand elle est possible. Sinon, on entre dans le système des structures spécialisées, et la France en manque. La psychiatrie n’est pas un secteur prioritaire. La prise de conscience est très longue. Avant, on traitait les situations qui gênaient en envoyant les enfants dans des systèmes spécialisés. Sous l’influence comportementaliste, on s’est mis à favoriser l’intégration en milieu ordinaire. Ce qui est certain, c’est qu’on soigne mieux quand on intègre que quand on exclut. Après, il faut tous les types d’approches : en milieu ordinaire et en milieu spécialisé, et que les parents puissent choisir. C’est terrible d’être prisonnier d’un système, alors que le diagnostic et l’état de santé d’un enfant évoluent.

L’avis du CES insiste sur le rôle de la famille dans le parcours de soins. Est-elle souvent tenue à l’écart ?

La famille doit être l’arbitre et, même, le maître d’œuvre. Elle manque cruellement d’informations. Faire soigner un enfant qui présente des troubles, c’est entamer un parcours du combattant : quel spécialiste ? Quelles subventions ? Quel impact sur la fratrie ? Où trouver un auxiliaire de vie scolaire (AVS) ? Avec mon épouse, nous avons monté une association pour faciliter la vie des familles. La première victoire pour une personne handicapée, c’est l’autonomie : vivre seul, pouvoir travailler. Les enfants handicapés sont dépendants de leur environnement, et les adultes se retrouvent à l’hôpital. La France commence à s’équiper en « maisons de vie », mais elle est très en retard au niveau des structures pour adultes. Certaines familles doivent déménager à l’étranger.

À qui le CES adresse-t-il ses recommandations ?

Aux deux ministères concernés : l’Éducation nationale et la Santé. Nos recommandations peuvent entrer en contradiction avec certaines mesures récentes, c’est pourquoi nous proposons des solutions applicables immédiatement. Par exemple, l’Éducation nationale n’est pas prête à assumer le recrutement des AVS. Autant sous-traiter à des associations moyennant garanties et agréments. Je préfère cette solution à l’absence de solution, mais rien ne remplacera une politique nationale.

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