Trio ambigu

Une vision sensuelle
de « l’Amante anglaise »
de Marguerite Duras,
par Elizabeth Macocco et Ahmed Madani.

Gilles Costaz  • 18 mars 2010 abonné·es

Àla tête du théâtre des Deux-Rives, à Rouen, Elizabeth Macocco a remplacé Alain Bézu depuis plus d’un an. Nouveau style, évidemment. Le précédent directeur aimait alterner l’ancien et le moderne. La nouvelle directrice aussi, mais pas de la même façon. ­Elizabeth Macocco donne peut-être plus dans le scalpel, le radical. En tout cas, elle s’est tournée vers Marguerite Duras en étant à la fois la « conceptrice » (avec Ahmed Madani) et l’interprète du spectacle le Théâtre de l’Amante anglaise , qu’elle transpose pour quelques semaines à Paris. Qu’est-ce que cette « conception » signée à deux et cette mise en scène attribuée au seul Madani ? C’est étrange mais, dans un travail commun, chacun a sans doute voulu définir son rôle.

La « conception » commune doit être celle de l’espace dans lequel se déroule la pièce, et ce qu’il implique. C’est une sorte de boîte où le public entoure la scène sur trois côtés, tandis que le dernier côté – le décor proprement dit – est une surface à carreaux blancs – clinique, comme peut l’être un hôpital, une cuisine, un aéroport ou une boîte de nuit. Mais, au lieu de créer de la froideur, le dispositif rapproche les spectateurs des acteurs, dont l’un, d’ailleurs, est longtemps intégré au public. Ainsi est-on peu à peu plongé dans le fait divers qui a inspiré Duras : celui d’une femme mariée qui tue soudainement la cousine de son mari et la découpe en morceaux qu’elle disperse du haut d’un viaduc ferroviaire.

L’Amante anglaise a été souvent jouée, et très bien. En général, le spectacle donné est celui d’un tribunal intemporel où se font face le mari de la criminelle, la meurtrière et un interrogateur – Duras ne précisant pas quel est cet interrogateur : policier, psychiatre, enquêteur privé ?
La mise en scène de Madani conserve l’ambiguïté du moment et des rôles, mais relie les personnages dans une relation sensuelle. L’interrogateur et la tueuse font même un petit pas de danse, comme si toutes les barrières étaient tombées. La recherche de la vérité passe là par la proximité, l’abandon des conventions et un peu de musique de piano-bar (Trénet, jazz). Avec une très poignante Elizabeth Macocco, qui incarne la criminelle comme une bourgeoise perdue dans sa déraison, et ses deux excellents partenaires, Laurent Manzoni en mari écrasé d’aveuglement et Nicolas Pignon en interrogateur arrangeant, on tient là l’une des plus belles mises en lumière de cette pièce d’un ­simple et continu vertige.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes