Amnésie collective

Le très réactionnaire président polonais a été enterré sous les louanges hypocrites.

Claude-Marie Vadrot  • 22 avril 2010 abonné·es

Le ciel, dont il se proclamait proche, a joué un dernier et bon tour au défunt président polonais, Lech Kaczynski : le nuage volcanique islandais aura empêché les chefs d’État occidentaux de voler jusqu’à Cracovie pour lui rendre un dernier hommage hypocrite. Après avoir passé sous silence le passé et le présent profondément réactionnaires, à la limite de la pensée fasciste, d’un homme mort dans un accident d’avion avec 95 personnes, pour avoir refusé de se rendre à la cérémonie de souvenir des officiers assassinés de Katyn le même jour que son Premier ministre, Donald Tusk, et les dirigeants russes.

Rarement un président défunt aura bénéficié d’une telle amnésie collective, dans son pays comme à l’étranger : raciste, homophobe, opposé à l’avortement, anti-européen, catholique bigot, ayant fait rétablir le catéchisme obligatoire dans les programmes scolaires… Tout cela a été miraculeusement oublié après sa mort, ironie de l’histoire, sur le sol d’un pays qu’il haïssait autant que l’Allemagne, la Russie. Même Lech Walesa, fin connaisseur en la matière, trouvait réactionnaire cet homme politique issu de l’anticommunisme et de Solidarité. Un homme qui fut l’ami du père Tadeusz Rydzyk, le rédemptoriste propriétaire et animateur de Radio Maryja, qui ne recule jamais devant une énormité politique ou religieuse et l’antisémitisme. On se souvient avoir entendu Bronislav Geremek dire dans son bureau de Varsovie : « Quand j’écoute cette radio, quand j’entends les représentants de son parti Droit et justice et de ses alliés de la Ligue de la famille à Strasbourg, j’ai honte. J’espérais pourtant que mon pays en avait fini avec les tentations totalitaires et fascisantes. » À Torun, d’où émet cette radio qui s’appuie sur un grand groupe de presse et sur une école de formation de journalistes réactionnaires et de « communicants », dont le superbe campus trône à la sortie de la ville, Lech Kaczynski était et reste un héros « qui protège la Pologne au nom de Dieu ».

Le scandale posthume est que cet homme – dont il faut quand même rappeler qu’il a été élu par une majorité de Polonais en 2005 – ait été inhumé dans la crypte du château de Wawel aux côtés de tous les rois et princes de Pologne, aux côtés de tous les héros de l’histoire du pays. Alors que ce président n’a rien d’un héros. Que l’Église catholique et le frère jumeau de Lech, Jaroslaw, aient réussi à imposer cette injure au passé de la Pologne montre à quel point une partie de ce pays file un mauvais coton. À tel point que, quand même, au milieu de l’unanimisme larmoyant (et apparent), des voix se sont élevées pour une vaine protestation.
Il n’est pas impossible que, sur la lancée des lendemains de cette tragique fin d’un président bien ordinaire mais dangereux, son frère, qui fut son Premier ministre, se présente à l’élection présidentielle prévue pour le courant du mois de juin. Le problème, c’est que Jaroslaw Kaczynski est encore pire que son jumeau. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, mais le survivant a toujours été l’idéologue de cette paire d’hommes politiques qui aura réussi à réveiller et à libérer ce qu’il y a de pire dans une partie de la droite polonaise, au point de la rendre extrême.

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