Cette burqa qui divise

Aucun élu ne défend le port du voile intégral, mais son interdiction dans l’espace public
fait débat dans la classe politique, et jusque dans les rangs de l’UMP.

Michel Soudais  • 20 mai 2010 abonné·es
Cette burqa qui divise
© PHOTO : DESMAZES/AFP

Au moment où nous vivons une crise économique dont le très optimiste président de la Banque centrale européenne nous dit qu’elle est la plus grave « depuis la Seconde Guerre mondiale » , nul ne peut raisonnablement soutenir que la réglementation du port du voile intégral est d’une actualité brûlante. Et pourtant, quand la construction européenne bat de l’aile jusqu’à menacer l’existence de l’euro, quand les plans d’austérité fleurissent dans tous les pays de l’UE comme muguet en mai, c’est bien cette réglementation qui mobilise le gouvernement Sarkozy-Fillon et nos parlementaires. Davantage que celle des marchés financiers.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité une résolution UMP contre le port du voile intégral. Ce mercredi, le Conseil des ministres devait adopter un projet de loi l’interdisant dans tout l’espace public. La résolution « sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte » n’était qu’une première étape. Bernard Accoyer ne s’en est pas caché en espérant que la représentation nationale « pourra parvenir au même consensus sur le projet de loi, qui concrétisera cette volonté ».

Mais la belle unanimité dont se prévaut le président de l’Assemblée nationale cache un consensus factice. Si aucune voix ne s’est opposée, mardi 11 mai, à la résolution présentée par l’UMP, celle-ci n’a été adoptée « que » par les 434 députés ayant pris part au vote. À l’exception d’André Gérin, élu PCF de Vénissieux et président de la mission parlementaire sur le voile intégral, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (PCF, PG, Verts) ont refusé de participer à ce que le communiste Alain Bocquet a qualifié de « vote mascarade ». « Vous n’obtiendrez pas de nous un consensus qui vaudrait pour le projet de loi gouvernemental qui suivra » , a averti le député du Nord, tandis que Noël Mamère (Verts) exprimait son « sentiment de colère, de honte », accusant la majorité de faire « diversion » et un clin d’œil au Front national.
Même parmi les groupes qui l’ont soutenue, la résolution n’a pas suscité l’enthousiasme. Si l’UMP a quasiment fait le plein, avec 288 députés votants sur 315, les élus PS ont été moins nombreux (122 sur 203) à se mobiliser. François Bayrou (MoDem) a voté pour ; un autre élu du MoDem, Abdoulatifou Aly, seul député musulman, s’abstenant. C’est que le sujet divise. Et dans tous les camps.

UMP et PS s’opposent déjà sur l’étendue de l’interdiction. Le gouvernement veut interdire le port du voile intégral dans tout l’espace public : « L’édiction de mesures ponctuelles se traduisant par des interdictions partielles limitées à certains lieux ou à l’usage de certains services n’aurait constitué qu’une réponse affaiblie, indirecte et détournée au vrai problème que pose, à notre société, une telle pratique » , explique l’exposé des motifs du projet de loi. Les socialistes préconisent, eux, de l’interdire uniquement dans les services publics et les transports, et s’appuient sur l’avis du Conseil d’État, dont les Sages, réunis en assemblée générale le 12 mai en présence du secrétaire général du gouvernement, ont rappelé qu’« une interdiction absolue et générale du port du voile intégral en tant que telle ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable ».

Pour le Conseil d’État, une telle interdiction serait donc « exposée à de fortes incertitudes constitutionnelles et conventionnelles ». En clair, elle aurait de bonnes chances d’être annulée par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme. Le gouvernement a toutefois décidé de passer outre cet avertissement. « Quand le Conseil d’État dit que les fondements juridiques sont contestables, ça veut dire qu’ils ne sont pas impossibles », veut croire Jean-François Copé. Si cet avis du Conseil d’État, déjà exprimé mezza voce le 30 mars, suscite une bronca populiste parmi les ultras de l’UMP – Françoise Hostalier invite les conseillers d’État à « sortir de leur tour d’ivoire » , Thierry Mariani rappelle que « les Français ne comprennent pas ces débats juridiques » … –, quelques francs-tireurs s’en trouvent confortés. Villepiniste comme Hervé Mariton, qui envisage de réformer la Constitution pour rendre la loi constitutionnelle, Jean-Pierre Grand ne votera pas une loi qui « n’est pas applicable » bien qu’il ait voté la résolution « parce que cela établit un principe » . Plus tranché, le député du Morbihan, François Goulard, ne comprend pas que « le gouvernement s’entête alors qu’il a juridiquement tort » : « On a créé de toutes pièces un sujet politique dans lequel le gouvernement apparaît à son avantage et qui rameute un électorat très à droite qui était en train de le quitter », dénonce-t-il.

« Pour l’instant le problème central de notre pays, ce n’est pas la burqa ! », tonne aussi Arnaud Montebourg, pour qui le fait de s’attaquer à « des accoutrements […] pose un problème sérieux de libertés publiques ». Dans le camp socialiste, la position du député de Saône-et-Loire détonne avec celle de Manuel Valls ou d’Aurélie Filippetti, qui, comme d’autres élus, sont prêts à voter le texte gouvernemental. Sur une position médiane, Martine Aubry, qui n’est pas députée, estime qu’ « interdire sur l’ensemble de l’espace public ne sera pas opérant, risque d’être stigmatisant et surtout inefficace car totalement inappliqué » . L’interdiction serait-elle plus efficace quand ce serait au guichetier de La Poste ou au chauffeur de bus de faire respecter une interdiction limitée ?

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