Des lions, des petits cons et une bassine de sel

Dans un méli-mélo de gravité et de légèreté, François Morel danse le rigodon
d’un quotidien ordinaire, popu et racé.

Jean-Claude Renard  • 27 mai 2010 abonné·es

En marcel, les bretelles retombées sur le futal, il se rase dans un coin de la scène. En voix off, François Morel décline le roulis des convenances de la salle, « portable éteint, toasteur et vibromasseur rangés ». Tombe l’Épouvantail, trublion inoffensif comme une piètre statue en albâtre, pas fichu d’empêcher les moineaux de faire les marioles. Une fraîche goguette aux caractères de guinguette portée par les percussions, les cuivres et un piano. Suit un jeu de scène hilarant avec son pianiste, Antoine Sahler, un tantinet scabreux, absurde et drôle. Du François Morel pur jus secouant le rigodon d’un quotidien ordinaire, agité de swing et de jazz, secoué par les rythmes de Juliette. Et d’endosser le complet veston avant de porter la gouaille fringante d’une Zazie extirpée de son métro, ragaillardie par les fantaisies, les torts et travers de la modernité. Ici Monsieur Meuble, une lyre de ménestrel, là un digicode, un « cas sociau » en banlieue, un autre à l’Élysée, une bassine de gros sel. Dans la cosmogonie de Morel, se bousculent des loufiats de bistrot, véritables lions le soir, petits cons le matin, une bouteille de sauvignon, un GPS à la voix mutine (celle de Yolande Moreau), au fil des paroles plus coquine et lascive, un ours en peluche, une grand-mère cannibale, des lendemains de fête.

Œillades, gaudriole d’adjectifs et verbes troussé. Pirouette et cacahuète. Jamais cabotinant, en équilibre sur le fil d’un funambule, Morel emprunte à Vian ses nonchalances déconcertantes, convoque Apollinaire, Yves Montand, Fellini et les Frères ennemis, véritables leitmotivs du spectacle. Moins André Gaillard que Teddy Vrignault, le frère disparu, qui finira bien par revenir, au moins dans le vieux poste de TSF trônant dans le salon… Des chansons tantôt ironiques, humoristiques, tantôt mélancoliques. Sourdement violentes parfois, tel Fatigué fatigué , évocation sombre, à la première personne, d’un homme profané par des criminels qui « ont ri/Quand ils se sont débarrassés/De leurs habits/Quand ils se sont le cul à l’air/Photographiés/Sur le mausolée de ma mère/Se sont branlés ». Dans un méli-mélo de gravité et de légèreté, un pêle-mêle de popu et racé, des chansons qui font récit, avec personnages, décors, et accessoires. Une atmosphère en somme. Pas de bottes qui ravissent comac. Dans l’élégance suprême.

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