« Soyez plus rationnels »

Mario Lap* souligne les incohérences françaises par rapport à la politique hollandaise.

Olivier Doubre  • 6 mai 2010 abonné·es

Politis : Le système hollandais des coffee-shops, où il est toléré d’acheter du cannabis, est connu pour son pragmatisme. Or, vous dites qu’il dépend largement de la situation en France. Pourquoi ?

Mario Lap : La France est de loin le pays d’Europe où il y a le plus de consommateurs (réguliers ou occasionnels) de cannabis. Toutes les études le prouvent : on en compte plusieurs millions, et un jeune sur deux a déjà expérimenté le cannabis en France, alors qu’aux Pays-Bas moins de 20 % en consomment. Si vous visitez les coffee-shops aux Pays-Bas, vous constaterez qu’ils sont pleins de consommateurs français. Or, cela pose plusieurs problèmes. En premier lieu, le nombre. Les riverains des quartiers où il y a des coffee-shops se plaignent des dizaines, voire des centaines, de voitures immatriculées en France dans leurs rues. À tel point que, dans la petite ville de Terneuzen, l’une des plus proches de la frontière française, l’unique coffee-shop a fait 42 millions d’euros de bénéfices l’an passé ! Ensuite, beaucoup de Français sont arrêtés car ils sortent du pays avec un peu de cannabis, ce qui est rigoureusement interdit, y compris pour les Hollandais. Ils risquent jusqu’à ­quatre ans de prison, même s’ils sont généralement condamnés à des amendes.

Vous avez récemment obtenu l’introduction dans le programme du Parti socialiste hollandais d’un paragraphe sur l’approvisionnement des coffee-shops. De quoi s’agit-il ?

L’objectif est de régler la question de ce que nous appelons la « porte de derrière » ( back door ) des coffee-shops en Hollande. En effet, ceux-ci s’approvisionnent pour l’instant sur le marché illégal. Il s’agit donc de réaliser des études pour savoir comment modifier cet état de fait, en tenant compte de tous les aspects, sociologique, économique, scientifique, de santé publique, etc. Aux Pays-Bas, l’État encadre – par des agréments à des producteurs privés – la production d’au moins deux variétés de cannabis à des fins thérapeutiques. L’idée est donc d’utiliser une partie de cette production pour approvisionner des coffee-shops et expérimenter ainsi un contrôle étatique de toute la branche. Cette proposition a aussi l’avantage de respecter les traités internationaux qui interdisent toute importation de ce produit en dehors du contrôle des États.

En tant qu’expert et consultant pour l’Académie de police hollandaise, qu’avez-vous envie de dire aux responsables politiques et policiers français ?

Tout d’abord, qu’ils s’interrogent de manière rationnelle sur ce problème ! Le problème de la consommation de cannabis est infiniment plus important en France qu’aux Pays-Bas. Ce sont les mafias, chez vous, qui contrôlent cette économie parallèle et n’ont aucun complexe à vendre des produits frelatés, coupés avec des substances très dangereuses. Je pense que le Parti socialiste français devrait davantage travailler ces questions, qui ont des conséquences dramatiques en termes de santé publique et de sécurité. La demande est énorme en France, et il est illusoire, dans l’Union européenne, de croire que la répression puisse venir à bout de ce trafic immense, quand les frontières ont quasiment disparu. Si l’on réfléchit sérieusement, ces mesures de contrôle étatique auraient dû déjà être prises depuis longtemps.

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