La traversée d’un siècle

Jean-Claude Renard  • 17 juin 2010 abonné·es

Au neuvième étage d’un bâtiment moderne. Dans l’antichambre, sur le mur de droite, l’encyclopédie complète de l ’Histoire de l’humanité. Une dizaine de volumes. Et, dans le salon, plusieurs sculptures vietnamiennes, des statuettes, un pêle-mêle d’objets, quelques peintures figuratives, une photographie de Pierre Mendès-France, des bibelots. Des souvenirs. Raymond Aubrac reçoit aisément dans son appartement du XIIIe arrondissement de Paris. À pas loin de 96 ans, les souvenirs ne manquent pas. D’autant que l’esprit est vif. Raymond Aubrac, né Raymond Samuel, en 1914, n’a pas besoin de bousculer sa mémoire. Ça vient, va, vogue, accoste. Par flots. Par chapitres.

Il évoque facilement son premier séjour aux États-Unis, en 1937, à l’université d’Harvard, diplômé alors de l’École nationale des ponts et chaussées. Puis revient sur les années de résistance, la période lyonnaise, s’arrête sur sa première rencontre avec Jean Moulin, à Lyon, poursuit sur Londres, son engagement dans les parachutistes pour continuer la lutte, son rôle à Alger, une escale à Naples, déjà libéré par les Américains, une autre à Ajaccio, une autre encore à Marseille, à la Libération, au poste de commissaire de la République, nommé par le général de Gaulle. Avant de gagner la Bretagne, responsable des opérations de déminage. Au détour de la conversation, au-dessus de laquelle semble planer encore la présence de sa femme, Lucie, il s’arrête sur son amitié avec Hô Chi Minh, repart sur cinq années au Maroc, en conseiller technique sur les irrigations, sur douze années passées à Rome, au sein de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, relate son engagement contre la guerre au Vietnam… Les bribes d’une existence épaisse comme deux encyclopédies, livrées sans prétention, avec un soupçon d’amusement. Un bottin de fonctions et de géographies. Ce 18 juin, il sera l’un des derniers survivants à avoir « vécu » l’Appel, à l’instar de cet autre passager du siècle, Stéphane Hessel. Dans le concert des commémorations, il est invité à Londres. Il décidera le matin même de s’y rendre. Ou pas.

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