Les véritables rois du pétrole

Les majors telles que BP, ExxonMobil ou Total dominent le marché pétrolier et engrangent des profits toujours croissants, même si les gisements sont techniquement difficiles à exploiter.

Thierry Brun  • 17 juin 2010 abonné·es

Dans le vaste monde du pétrole-roi, le prix du baril est déterminé dans les grandes Bourses mondiales, essentiellement dans les pays du Nord, en fonction de l’offre et de la demande. Ce prix est maintenu à un niveau élevé depuis que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui regroupe les intérêts des pays du Proche et du Moyen-Orient, de certains pays africains et du Venezuela, a joué la carte de la raréfaction en diminuant ou en stabilisant la production quotidienne de pétrole. Et, comme tout ce qui est rare est cher, quand l’Opep décide de fermer le robinet, les prix ont tendance à monter. Mais il ne faut pas oublier que de grands producteurs comme la Russie jouent aussi leur partition, ainsi que les pétroliers.

Ces derniers ont montré leur pouvoir lors du troisième choc pétrolier, qui a débuté en 2008. Les majors (ExxonMobil, BP, Royal Dutch-Shell, Chevron et Total), les raffineurs et autres gros clients de la chimie des hydrocarbures ainsi que divers intermédiaires commerciaux et financiers (notamment les plus importants fonds de pension spéculatifs) ont contribué ces ­dernières années à d’importants mouvements spéculatifs sur le prix du pétrole. Ainsi, les banques d’affaires Goldman Sachs et Morgan Stanley ont fait grimper les prix et engrangé des millions de dollars à chaque fois que le baril a franchi un niveau record.

Les compagnies pétrolières font aussi la pluie et le beau temps sur ces marchés, car elles contrôlent directement ou indirectement une grande partie des autres intervenants par le biais de montages financiers destinés à les protéger des lois antimonopoles. Les pétroliers ont ainsi surmonté la crise de 2008, notamment parce qu’ils ont engrangé des liquidités pendant cinq années très rentables, constate l’Institut français du pétrole [^2] : « La taille des entreprises a été un facteur crucial, non seulement en termes de liquidités disponibles mais aussi et surtout face au durcissement des conditions d’accès au crédit : en temps de crise, les grands noms lèvent plus facilement des fonds que les plus petits… »

Un autre levier est utilisé par les majors pour peser sur le marché. Il a été révélé dans une enquête de l’UFC-Que choisir sur le prix des carburants, publiée en 2008. L’association de défense des consommateurs a notamment pointé l’envolée des marges de raffinage en France, qui « pèsent de plus en plus » sur le prix des carburants pour les consommateurs. La marge dégagée sur le diesel par les pétroliers « a doublé entre 2007 et 2008, et plus que quadruplé entre 2003 et 2008 » . En janvier 2009, elle a atteint 9,8 centimes d’euro par litre, indique l’association, qui ajoute que cette majoration est causée par le sous-investissement des groupes pétroliers dans les capacités de raffinage alors qu’ils ont réalisé des profits records. Ainsi, les compagnies ont créé un manque artificiel qui a fait mécaniquement augmenter les cours, le prix à la pompe et donc leurs profits.

ExxonMobil, BP, Royal Dutch-Shell, Chevron et Total, auxquels il faut ajouter les compagnies chinoises, ont fort bien résisté à la crise, au point d’annoncer de nouveaux investissements mondiaux dans l’exploration et la production. Même si l’approvisionnement en pétrole est plus difficile, le nombre de constructions offshore est en augmentation, notamment pour faire face à l’épuisement des sources traditionnelles.
Dans cette quête pétrolière, les prix du baril sont maintenus à un niveau suffisamment élevé pour le plus grand bonheur du marché, mais non sans risque pour la planète.

[^2]: Les investissements en exploration-production et raffinage en 2009, Institut français du pétrole, novembre 2009.

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