Science et démocratie : quel dosage ?

La récente création d’un chromosome artificiel relance la réflexion sur le « progrès » et ses applications. Nous donnons ici la parole à des acteurs de cette réflexion, qui défendent l’instauration de garde-fous citoyens.

Patrick Piro  • 3 juin 2010 abonné·es
Science et démocratie : quel dosage ?
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Les entrepreneurs de la génétique sauront-ils bientôt composer par ordinateur une algue asservie à la production d’hydrocarbures – ou d’autres organismes-usines dédiés à la fabrication de molécules variées ? Une première étape fondamentale a été franchie, si l’on en croit les communiqués triomphants de Craig Venter. Le grand manitou états-unien de la biologie synthétique vient d’annoncer que ses équipes sont parvenues à assembler, selon un plan défini par informatique, des briques génétiques de base afin de constituer sur mesure un chromosome artificiel, ensuite introduit dans une cellule dans le but de piloter, sous contrôle, certaines de ses fonctions.

Pour l’organisation non-gouvernementale ETC, siégeant au Canada, l’une des plus respectées en matière de critique des dérives des sciences de la vie, il est déjà dépassé de parler d’ingénierie génétique : les laboratoires ne se contentent plus de manipuler les génomes, ils les fabriquent – l’ère de la « biologie synthétique extrême » a débuté.
Ce pas supplémentaire dans la mainmise sur les mécanismes de la vie est présenté, c’est constant en la matière, comme une contribution à l’intérêt commun. Hervé Le Crosnier démonte ce conte pour enfants naïfs, qui trouve toujours des oreilles complaisantes tant miroitent de futures retombées économiques.
Marketing oblige, c’est sur la crise écologique qu’il est aujourd’hui prometteur de communiquer. Ainsi, les fabricants d’OGM annoncent aujourd’hui des plantes résistant aux nouveaux aléas climatiques ; et les chromosomes synthétiques de Venter auront le bon goût de s’attaquer à la production de carburants, en relais du pétrole déclinant.

Nombre des avancées scientifico-techniques des dernières années portent pourtant un potentiel de nuisance très important (destruction, bouleversements écologiques ou sociaux, impacts sanitaires, etc.), souvent sans commune mesure avec les bénéfices attendus – on parle de technologies « duales ». L’une des dernières perspectives en date est la convergence dite « NBIC » (nanotechnologies, biologie, information, cognition), une supertechnologie duale qu’ETC rebaptise plus explicitement « Bang », pour « bits, atomes, neurones, gènes ».

Les chromosomes de Venter sont une illustration de ces percées dans l’inconnu, qui s’opèrent en l’absence des contrôles démocratiques les plus élémentaires. La société tarde considérablement à convenir que science et technologie sont devenues éminemment politiques, en raison de leurs impacts globaux. Il en résulte de graves lacunes de gouvernance, au point que ces domaines peuvent apparaître aujourd’hui comme emblèmes du libéralisme décomplexé : il est tabou d’imaginer que l’on puisse brider « l’innovation », terme fourre-tout fétichisé ; les spécialistes revendiquent d’élaborer « à façon » des règles de bonne conduite ; la compétition économique y est aussi féroce que sur les marchés, etc.
Et l’argument de la « complexité » de ces matières, expliquent Jacques Testart et Fabrice Flipo, est une excuse bien fallacieuse pour tenir les citoyens à l’écart de débats sur lesquels ils ont déjà démontré leur capacité à émettre des jugements parfaitement pertinents.

Société
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