Il reste qui, à France Inter ?

Nicolas Demorand
lâche la station
publique pour Europe 1.
Un revirement inattendu qui rend compte
des tensions
à la Maison ronde.

Jean-Claude Renard  • 15 juillet 2010 abonné·es
Il reste qui, à France Inter ?
© PHOTO : MEDINA/AFP

La dépêche est tombée raide et stupéfiante ce mercredi 7 juillet : Nicolas Demorand quitte France Inter pour Europe 1. On savait que l’animateur abandonnait la matinale, selon sa volonté, pour l’après-midi. On ne peut pas être lève-tôt toute sa vie. Dans sa lettre aux collaborateurs de la station, adressée au soir du dernier jour de la saison, le vendredi 25 juin (voir Politis n° 1109), Philippe Val entamait ainsi son texte : « Lorsque dans un bateau il n’y a plus ni roulis ni tangage, c’est qu’il est en cale sèche, ce qui n’est jamais bon signe. On ne peut pas dire que ce soit le cas de notre radio. Ça roule et ça tangue, donc ça vit. »

Demorand abandonnant le navire, voilà Philippe Val servi. Lequel, dans le même courrier, annonçait pour la rentrée que Nicolas Demorand prendrait l’antenne à 17 heures « pour un grand magazine culturel de deux heures. En lien direct avec la rédaction, ce magazine de débat d’idées
– qui comprendra un journal de la culture, des enquêtes et des entretiens au long cours – ouvrira largement les portes du monde intellectuel et artistique à nos auditeurs – et offrira les éclairages et les découvertes auxquels ont droit les citoyens d’un pays ouvert sur le monde ».
Val dans le texte. Concluant par ces mots : « L’année a été difficile, nous en tirerons tous les leçons. Lorsque débutera la grille de rentrée, dont je suis sûr que vous aurez à cœur de la faire vivre avec votre talent, nous instaurerons, Laurence Bloch et moi-même, des espaces de dialogue réguliers avec vous, afin de dissiper les malentendus et les rumeurs, et surtout de travailler ensemble à l’amélioration constante de cette radio qui nous est si chère. Il n’y a pas de radio sans équipe, nous ne pouvons rien les uns sans les autres, je sais que notre collectivité est au moins d’accord sur un point qui est essentiel : le désir que France Inter, avec ses valeurs de service public, soit la radio des radios. Nous pouvons compter les uns sur les autres pour atteindre ce but. » Hilarant. On n’est jamais à l’abri d’un succès. Le départ de Demorand pour le privé en est un de plus dans l’escarcelle de Philippe Val.

Qu’on s’explique : en mai, la station annonce que Nicolas Demorand quitte la matinale. Le susnommé, âgé de 39 ans, fort de treize années de service public, forçant les portes de France Culture (littéralement) pour commencer, brigue une case de fin d’après-midi. Soit. Y a qu’à passer outre Jean-Marc Four (« Et pourtant elle tourne ») et Yves Calvi (« Nonobstant »). Roulez jeunesse. Et puis voilà. Pour une tranche similaire (18 h 30/20 h 30), Nicolas Demorand choisit Europe 1 sous Lagardère, dirigée par Alexandre Bompard, tout juste recalé pour la présidence de France Télévisions. Le monde est petit, décidément. Entre le 25 juin et le 7 juillet, on aura du mal à croire que le contrat s’est réalisé l’espace d’une mise en bouche. On aura du mal à croire la direction d’Europe 1 qui prétend qu’en termes budgétaires l’animateur « sera dans la même épure qu’à France Inter » ( Libération, 8 juillet 2010). On aura du mal à croire qu’il n’y a pas eu un pont d’or pour s’attacher les services du normalien de la Maison ronde. Enfin, on aura du mal à penser que Nicolas Demorand ait été « chagriné » à ce point par le torrent de critiques internes et de courriers d’auditeurs lui reprochant de ne pas avoir été solidaire de Didier Porte (au « Grand Journal » de Canal +), motivant son départ. De quoi rigoler ferme.

Reste que cette volte-face d’un animateur vedette d’Inter rend compte de l’ambiance de la Maison ronde. Sèche et brutale. Qu’on n’aurait pas imaginée il y a trois ans. « C’est un champ de ruines que s’apprête à laisser la direction, observe Didier Porte, chroniqueur licencié le mois dernier avec Stéphane Guillon [^2]. France Inter est maintenant une vraie pétaudière. Durant un an, ils n’ont rien fait [Jean-Luc Hees, président de Radio France et Philippe Val, directeur de France Inter, NDLR]. Après quoi, il a suffi qu’ils bougent, et c’est un tsunami. Ils vont rester dans les annales de la radio ! » De quoi créer une ambiance délétère.
Reste du pain sur la planche pour la grille de rentrée. Et, qu’on apprécie ou pas Nicolas Demorand, une voix marquante disparaît de la station. Un pataquès de plus pour le patron et un 17/19 heures à reconstruire. Avec ou sans les producteurs écartés ? France Inter se met au diapason du gouvernement. C’est le moment de postuler pour boucher les trous.

[^2]: Didier Porte assurera une chronique audio hebdomadaire à la rentrée à Mediapart et à Arrêt sur images.

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