Le chaos d’Inter

Les licenciements de Didier Porte et de Stéphane Guillon témoignent d’une gestion
de la Maison ronde partagée entre la mauvaise foi et le cynisme.

Jean-Claude Renard  • 1 juillet 2010 abonné·es

C’est la fin des classes ce vendredi 25 juin. On remballe. Les programmes de la saison sont bouclés. Beaucoup sont déjà partis en vacances. Il est 18 h 46. C’est le moment que choisit Philippe Val, qui est un peu l’Arlésienne du « Mangin Palace » (nom de baptême des locaux provisoires de la radio), pour envoyer un courriel de quatre pages à tous les collaborateurs de France Inter, sur leur messagerie professionnelle. Il y annonce, dans un style ampoulé, la nouvelle grille de rentrée, en cours d’élaboration. Audrey Pulvar occupera l’antenne de 6 h à 7 h, suivie par Patrick Cohen, de 7 h à 9 h, en lieu et place de Nicolas Demorand, chargé d’un « grand magazine culturel » entre 17 h et 19 h. Mickaël Thébault présentera le journal de 8 h. Pascale Clark sera présente de 9 h à 10 h « dans un dispositif encore en cours d’élaboration » . Le vendredi, de 19 h 20 à 20 h, Pierre Weill devrait, « s’il le désire » , animer un magazine d’actualité internationale. Le 7/9 du week-end est confié à « deux grandes voix d’Inter » , Patricia Martin et Fabrice Drouelle. «  Voilà où nous en sommes », poursuit Val.

Avant d’en venir « au cas S. Guillon et D. Porte. Depuis des mois, Jean-Luc Hees et moi-même nous sommes insultés, diffamés et objets de soupçons mettant en cause, comme on dit en termes juridiques, notre honneur et notre considération. Or, depuis le mois de septembre, nous leur avons laissé une paix absolue. Ils ont dit ce qu’ils ont voulu, comme ils l’ont voulu, car nous pensions qu’ainsi ils auraient la preuve que leurs soupçons étaient infondés. C’est donc au mépris des faits qu’ils ont continué à dénoncer un complot les menaçant. […] Déloyauté constante, rupture répétée de la confiance, insulte récurrente contre la direction éclaboussant toute la chaîne et le groupe Radio France : tout cela est inacceptable. »
Cette lettre adressée en toute fin de journée, le dernier jour de la saison, quand producteurs et attachés de ­production ne sont déjà plus dans les murs, est au diapason des méthodes, déclinées entre mauvaise foi, arrogance et mépris.

Le mardi 22 juin, dans Télé-Loisirs , Stéphane Guillon apprend qu’il ne serait plus reconduit dans la matinale. Il en a la confirmation le lendemain, à travers un entretien de Jean-Luc Hees au Monde.fr , publié après son ultime chronique du mercredi. Sans passer par la case rendez-vous avec la direction. « L’humour ne doit pas être confisqué par de petits tyrans », estime Jean-Luc Hees, considérant que « cette tranche d’humour est un échec. Elle a montré une grande misère intellectuelle. » Un échec qui réunit chaque matin deux millions d’auteurs et que beaucoup de stations seraient ravies d’essuyer. De son côté, Didier Porte avait reçu un avertissement après sa chronique du 20 mai, dans laquelle il criait à l’antenne, sous la voix de Dominique de Villepin, « J’encule Sarkozy ! » Puis il apprend inopinément qu’il est évincé de la matinale à la rentrée mais sauvé in extremis pour l’émission « le Fou du roi » de Stéphane Bern, dans laquelle il assure une chronique quotidienne. Avant de recevoir mercredi matin 23 juin sa ­lettre de licenciement, sans entretien préalable. Voilà qui donne le ton et l’ambiance de la Maison ronde, plombée par une direction installée en juin 2009 et qui aujourd’hui avance confusément dans la rentrée, avec des remaniements, des déplacements dans la grille des programmes, des aménagements, des promesses d’émission à plusieurs personnes aux mêmes horaires. Stéphane Paoli pourrait occuper la tranche du samedi de 12 h à 14 h. La direction lui a donné son aval. En omettant qu’à la même heure il y a « La prochaine fois je vous le chanterai », à 12 h 05, de Philippe Meyer, puis « Rendez-vous avec X », de 13 h 20 à 14 h, de Patrick Pesnot.

C’est un exemple parmi d’autres. Qui dit le malaise d’Inter. Les humoristes sont écartés ( quid de François Morel ?, puisque Jean-Luc Hees et Philippe Val ont décrété que l’humour n’avait pas sa place dans cette tranche horaire ; Val oubliant sans doute qu’il assurait une chronique à la même heure, jusqu’en juin 2009). Si Vincent Josse (« Esprit critique ») doit retrouver un magazine le samedi, Éric Lange (« Allô la planète ») glisser au Mouv et Jean-Marc Four (« Et pourtant elle tourne ») à France Culture, beaucoup resteront sur le carreau à la rentrée. Sophie Loubière (« Parking de nuit »), Sylvie La Rocca (« La nuit comme si »), Philippe Debrenne (« Dormir debout »), ou encore Brigitte Palchine (« Nocturne ») et Marjorie Risacher (« Au clair de la lune »). Certes, toute nouvelle direction a le droit des modifier les programmes. Reste la manière. Le 18 juin dernier, la rédaction d’Inter votait à l’unanimité une motion de défiance, exprimant son inquiétude et sa colère « face aux choix et aux méthodes de Philippe Val dans la confection de la grille » .

Dans un communiqué adressé aux auditeurs, ce jeudi 24 juin, la Société des producteurs (SDP) et la Société des journalistes (SDJ) a déclaré : « Nous vivons un tournant qui nous inquiète dans l’histoire de cette station. » Pour le SNJ de Radio France, « Jean-Luc Hees et Philippe Val mènent une politique de terre brûlée ». L’intersyndicale appelle à manifester devant les bureaux de Radio France (116, av. du Président-Kennedy, Paris XVIe) et devant les locaux des France Bleu en région, ce jeudi 1er juillet, exigeant le retour de Didier Porte et de Stéphane Guillon. Une pétition a déjà rassemblé près de 10 000 signatures.
À l’évidence, le malaise à Radio France dépasse le cas de Didier Porte et de Stéphane Guillon. Il s’inscrit aussi dans un secteur, celui des médias, malmené dans son indépendance (entre autres, un journaliste de Rue 89 mis en examen, l’intervention de l’Élysée dans la reprise du Monde ). Il y a un an, Nicolas Sarkozy nommait lui-même le président de Radio France. Courant juillet, il nommera le président de France Télévisions, succédant à Patrick de Carolis. La situation de Radio France sonne comme une répétition générale.

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