Le ciné-fils rejoue une scène

Nicolas Bouchaud fait entendre des textes
de Serge Daney
sur le cinéma. Superbe !

Gilles Costaz  • 30 septembre 2010 abonné·es

Le théâtre parle souvent du cinéma, et le cinéma du théâtre. Ces deux arts, comme le Néandertalien et l’Homo sapiens, descendent du même arbre. C’est normal qu’ils se jalousent et discutent d’une branche à l’autre. Mais, si un script peut devenir une pièce et un dialogue un scénario, il est rare que le transfert d’un domaine à l’autre favorise la théorie. L’acteur Nicolas Bouchaud et le metteur en scène Éric Didry ont eu l’idée étrange et intrépide de porter à la scène des propos du critique et essayiste Serge Daney sur le cinéma. Ils n’ont pas pris un recueil d’articles, comme Daney en écrivait dans Libération, mais retranscrit ce que Daney avait dit à Régis Debray pour une émission d’« Océaniques » sur Arte, en 1992, et que les producteurs, Boutang et Rabourdin, à moins que ce soit Daney lui-même, avaient joliment titré Itinéraire d’un ciné-fils. Allégé de ses questions (Debray disparaît : on n’est plus dans l’interview, mais dans l’adresse au public) et réaménagé, le texte prend un autre titre, la Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney), en référence à une formule de Jean Douchet comparant Daney à quelqu’un qui, par l’action de marcher, marque et définit le temps.

Oui, le texte est théorique puisqu’il repose sur une conception du cinéma : pour Daney, le septième art est un espace public où le spectateur cueille la beauté du talent mais aussi des éléments pour sa compréhension du monde et de la société. Il a remplacé le théâtre grec des origines, alors pierre de touche de la démocratie. Mais cette pensée, grâce à l’interprétation de Nicolas Bouchaud, vire tout de suite à la célébration et aux souvenirs personnels. Elle prend aussi la forme d’un requiem. Daney, qui va disparaître à 48 ans à cause du sida, voit déjà mourir sous ses yeux le cinéma et la cinéphilie. Non seulement l’industrie de l’image prend des directions mortifères, mais les prétendus fous de cinéma traitent par-dessus la jambe Bergman, Fellini ou Coppola…
Grand athlète au regard brûlant, Nicolas Bouchaud ne ressemble en rien à Daney. C’est un acteur charnel qui prend en main cette parole sur un art où ils se rejoignent. Bouchaud se met à jouer avec le cinéma. Il entrecoupe le texte de fragments de Rio Bravo, chante la chanson de Dean Martin, file devant John Wayne tramé sur l’écran. Il joue avec le public en le faisant participer en fin de séance. Éclatant d’intelligence !

Culture
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