Palestine : le nom de l’injustice

Dans son dernier livre,
« De quoi la Palestine est-elle le nom ? », Alain Gresh nous dit pourquoi le conflit israélo-palestinien mobilise
si fort les consciences.

Denis Sieffert  • 30 septembre 2010 abonné·es

« Mais pourquoi vous intéressez-vous tant à la Palestine ? » Qui n’a pas entendu cette lancinante interrogation venue de la salle au beau milieu d’un débat sur le conflit israélo-palestinien ? Le soupçon est récurrent : c’est parce que le vieil antisémitisme n’a fait que se déplacer vers l’État juif identifié au « mal absolu ». L’accusation s’accompagne généralement d’une comptabilité macabre. Au gré de l’actualité, les exemples de conflits plus meurtriers que celui-là ne manquent pas, en Afrique ou ailleurs.
C’est à cette question que s’efforce de ­répondre Alain Gresh dans son dernier ouvrage, sans doute son plus personnel. Le paradoxe, c’est que l’intérêt intime d’Alain Gresh pour la Palestine est d’une totale évidence. Juif né en Égypte, enfant du Caire à l’époque de Nasser, cette histoire est la sienne. Lui qui pourrait s’exempter de cette interrogation répond ici pour tous ceux qui n’ont pas ses racines et ont en permanence à se justifier de leur engagement. La première explication est si simple qu’elle ne peut échapper aux questionneurs dont la bonne foi est souvent douteuse. Elle réside dans la force symbolique de la Terre Sainte. En témoignent les convoitises dont cette parcelle de territoire à peu près dépourvue de richesses matérielles – ni or, ni phosphate, ni pétrole – a toujours fait l’objet. Ni les croisés ni les soldats de Bonaparte n’étaient spécialement mus par la haine des juifs…

Mais Gresh rappelle surtout que la Palestine n’a pas toujours bénéficié de ce statut dans nos opinions publiques occidentales. «  Ni les millions de réfugiés parqués dans des camps, rappelle-t-il, ni le naufrage de tout un peuple en 1948-1949 n’ont ému l’Europe, traumatisée par la Seconde Guerre mondiale. » Et, en 1967, alors que la presse tremblait pour Israël, rares étaient ceux qui se souciaient du sort des Palestiniens, pourtant principales victimes de la guerre. Notre « passion » palestinienne est en fait toute neuve. Elle date de l’invasion israélienne au Liban, en 1982, avec le massacre de Sabra et Chatila, et, plus encore, de la première Intifada, en décembre 1987. Le conflit devient alors le symbole de la lutte anticoloniale, de l’injustice et de l’antagonisme Nord-Sud. Il prend peu à peu le relais dans les consciences de la guerre du Vietnam et de la lutte contre l’apartheid sud-africain. Mais pour nous dire « de quoi la Palestine est aujourd’hui le nom », Alain Gresh emprunte les chemins sinueux de l’histoire. Il replace le conflit dans la vaste bataille de la décolonisation, et répond à bien d’autres questions. Par sa grande connaissance du dossier, il désamorce les mauvais procès un à un, sans jamais céder au ton de la polémique.

Le lecteur trouvera dans ces pages une profonde critique de l’ethnocentrisme occidental et une recontextualisation des événements dans la durée. C’est en déplaçant les lignes et en superposant les époques que le directeur adjoint du Monde diplomatique puise encore un fond d’optimisme. Qui, par ­exemple, aurait parié sur une victoire de Mandela contre l’apartheid quelques années seulement avant sa libération ? La comparaison est loin d’être fortuite alors que l’obstination israélienne semble conduire inexorablement à une situation « à la sud-africaine ».

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »
Entretien 18 novembre 2025 abonné·es

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »

Alors que le gouvernement échappe à un vote budgétaire et que le PS choisit la négociation, le leader insoumis dénonce une « comédie démocratique » et acte la rupture avec les socialistes. Sa stratégie : refonder une gauche de rupture, préparer les municipales en autonomisant La France insoumise et affronter les grands débats sur l’immigration, le syndicalisme, l’Ukraine, la Chine et le Proche-Orient.
Par Lucas Sarafian, Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc