Sans violence et sans haine…

Plus de trente ans après
le casse de Nice,
l’un des cerveaux raconte
sa vérité. Une immersion
sans artifices
dans les années 1970.

Jean-Claude Renard  • 2 septembre 2010 abonné·es

Au matin du lundi 19 juillet 1976, la foule se presse devant les portes de la Société générale de Nice, rue Gustave-Deloye. La nouvelle est tombée. La banque a été cambriolée, près de 350 coffres ont été fracturés sur les 4 000 de l’agence.
Les clients se demandent pourquoi l’établissement bancaire ne bénéficiait pas de système d’alerte. Chacun y va de son inquiétude ou de sa colère avant de savoir si son propre coffre a été pillé.
Il avait suffi aux casseurs de glisser un réveil programmé pour sonner dans un coffre loué auparavant pour comprendre qu’il n’y avait pas d’alarme. Ce détail n’est pas le seul objet de la stupéfaction des enquêteurs. Pour la première fois en France, le vol s’est réalisé par les égouts. À deux pas du commissariat, à la barbe des agents de la voirie, les voleurs ont creusé une galerie de 8 mètres de long, de 80 centimètres de large et de 1,30 mètre de hauteur, avant de remonter vers la chambre forte et de repartir comme ils étaient arrivés. En laissant derrière eux une formule rédigée à la craie, non moins stupéfiante : « Ni armes, ni violence et sans haine » (la formule exacte varie selon les récits). Montant du butin : 50 millions de francs, soit aujourd’hui 29 millions d’euros. De quoi parler du « casse du siècle », rivaliser avec le fameux Glasgow-Londres de 1963. « Dans cette affaire, dira un officier en retraite, i l n’y a que les voleurs qui aient bien fait leur travail ! »
*
À peine trois mois plus tard, en octobre 1976, un certain Albert Spaggiari est arrêté. C’est un ancien para de la guerre d’Indochine, ancien partisan de l’OAS, activiste d’extrême droite, photographe de mariages, installé à Nice, propriétaire aussi d’une petite bergerie sur les hauteurs de la Côte-d’Azur. Séducteur à la faconde facile, élégant, fanfaron à souhait, endossant la responsabilité du casse. En mars 1977, toujours avec le sens du spectacle, il s’évade en Rocambole au cours d’une audition, en sautant par la fenêtre du juge d’instruction au palais de justice de Nice, s’enfuit à moto, se réfugie en Amérique du Sud. Spaggiari meurt en Italie en 1989. Entre-temps, alimentant le mythe, il a signé un best-seller, *les Égouts du paradis
, livrant les clés du cambriolage comme une mélodie en sous-sol. Sans jamais balancer personne.
Aujourd’hui, trente-quatre ans après,
un livre témoignage revient sur l’affaire.

Signé par Amigo, le pseudonyme d’un des maîtres à penser du braquage. La Vérité sur le casse de Nice est préfacé par Nadia Bakiri-Vigier, la veuve d’un des participants, « le grand Gégé ». S’ils étaient une quinzaine d’égoutiers, tous ici dotés de surnoms, beaucoup sont morts dans les règlements de comptes du milieu marseillais. Certains avaient été arrêtés, puis relâchés faute de preuves. Le livre s’inscrit comme un hommage, une mémoire à honorer, pour « ceux qui sont partis et pour la tranquillité de ceux qui restent » , écrit Nadia Bakiri-Vigier dans sa préface. Âgé maintenant de 67 ans, Amigo raconte la constitution de l’équipe, l’avortement d’un autre casse sur le même modèle, dans le XIIIe arrondissement de Paris, à coups de lances thermiques jugées finalement trop bruyantes, les tribulations dans le réseau d’assainissement niçois, le menu détail des travaux souterrains harassants, trois mois durant, du crépuscule au petit matin, et surtout le rôle de Spaggiari, dit Bert. Simple apporteur d’affaires, cornaqué à un employé de la banque, qui n’a pénétré dans les égouts que le week-end du casse pour obtenir une part supplémentaire du butin. Un rôle secondaire, loin donc de tout ce qui a été écrit jusque-là.

Avec Albert Spaggiari, la justice avait son coupable, auréolé de gloire ; les cambrioleurs avaient les billets. Autre révélation : le casse ne s’est pas réalisé, insiste l’auteur, au nom d’une idéologie politique. Ni nostalgiques de l’Algérie française, ni baroudeurs d’extrême droite, ni relations douteuses avec Jacques Médecin, alors maire de Nice, mais des malfrats en quête du bon coup, mués en terrassiers, électriciens, ouvriers très spécialisés, ingénieurs des mines. Une autre vérité en somme, déployée dans un style parfois ampoulé, un brin désuet et naïf, puéril dans l’écriture ici et là, mais sans artifices. Un témoignage aux accents de documentaire et non pas un roman, qui dit aussi une autre époque, celle du milieu des années 1970, inspirées par la camaraderie, avec ses codes d’honneur, sa droiture paradoxale, ses règles de délinquance avec panache, sans armes, ni violence,
ni haine.

Idées
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