Syndicats : l’appel de la base

Depuis la forte mobilisation du 23 septembre, le mouvement contre la réforme des retraites prend de l’ampleur. Les salariés de la plus importante raffinerie de France se disent prêts à une grève illimitée. Les jeunes entrent à leur tour dans le mouvement. Maintenant le PS doit clarifier sa position.

Thierry Brun  • 30 septembre 2010 abonné·es
Syndicats : l’appel de la base
© PHOTO : T. BRUN

Samedi 25 septembre, les voitures convergent vers l’entrée de la plus grosse raffinerie française, dans l’immense zone industrielle et portuaire de Gonfreville-l’Orcher, près du Havre. Plus d’une cinquantaine de salariés de la raffinerie de Normandie, la plus importante du groupe Total, se rassemblent avant le deuxième quart de travail, qui débute à 13 heures. Une assemblée générale organisée par les deux syndicats majoritaires, CGT et SUD, succède à la consultation du premier quart, vers cinq heures du matin.
Deux jours après la puissante journée de grève et de manifestations du 23 septembre, qui a mis dans la rue près de 40 000 personnes au Havre, selon les organisateurs, les grévistes étaient encore très remontés : « La reconduction s’est faite après la provocation du gouvernement et de l’Élysée, qui ont dit qu’il y avait eu moins de monde dans les manifestations et que c’était peut-être un signe d’adhésion à la réforme », raconte Christian Votte, secrétaire CGT du comité central d’entreprise de la branche raffinage de Total.

« On était partis pour un mouvement de reconduction jusqu’à obtention du retrait du projet de loi sur les retraites. La grève, c’est toujours une décision difficile. Mais, pour nous, le sacrifice serait d’avoir à travailler deux ans de plus alors que nous subissons déjà la pénibilité dans notre travail et que nous sommes souvent exposés aux produits toxiques », souligne François Teyssier, secrétaire de SUD Chimie, chimiste dans une entreprise du groupe BASF, près de Rouen.
Pour marquer le coup, vendredi, plusieurs dizaines de personnes ont participé à des barrages mis en place par la CGT aux abords du Havre. Les militants, venus des usines Renault, Total, Chevron Oronite et Sidel, se sont installés à partir de cinq heures du matin à trois carrefours desservant notamment la zone industrielle du Havre. Ces actions, qui se sont terminées dans la matinée, ont provoqué d’importants embouteillages. Après quarante-huit heures de grève, les salariés de la raffinerie, ont décidé de suspendre ce mouvement reconductible, entraînant l’arrêt des actions dans le bassin industriel.

« Un tiers voulait continuer. Mais on doit tenir compte de l’appel national du 12 octobre : à la quasi-unanimité, nous sommes prêts à repartir en grève pour faire quelque chose de plus dur et de plus fort. Car, pour l’instant, on se heurte au patronat et à un gouvernement qui ne nous entend pas, malgré des journées de forte mobilisation. Il faudra franchir une étape, et les salariés sont partants » , explique Didier Bocquet, délégué syndical CGT de la raffinerie de Normandie. Le syndicaliste rappelle que, sur ce site, qui compte près de 1 700 salariés, ainsi que dans quatre autres raffineries (Dunkerque, Donges, Provence et Grandpuits) sur les six du groupe Total, la grève a été suivie par 60 à 80 % du personnel posté, ­chiffre confirmé par un porte-parole de Total. « Ici, on constate que les autres sites ont arrêté le mouvement vendredi soir, relève Jacky Pailloux, délégué ­syndical SUD de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher. À elle seule, la raffinerie de Normandie ne fera pas basculer le gouvernement. Le but de nos actions était d’amorcer une généralisation du mouvement. On a eu un certain succès sur le bassin du Havre. Sur le bassin de Marseille, on a eu le même phénomène, bien plus important ! »

D’autres secteurs de l’économie hésitent encore à passer à l’acte. Les syndicats de la SNCF Unsa et Fgaac-CFDT ont indiqué qu’ils envisageaient une grève reconductible pour les retraites en octobre, tandis que la CGT Cheminots, première force syndicale de l’entreprise, appelle à « élever le rapport de force ». En début de semaine, SUD-Rail, troisième syndicat à la SNCF, était le seul à avoir déposé au plan national un préavis de grève illimitée et noté « quelques votes en faveur de la reconduction » lors d’assemblées générales de grévistes, notamment à Paris-Sud-Est.

De leur côté, les personnels de la raffinerie de Normandie restent très déterminés. La CGT a mis au débat la « nécessité de durcir le mouvement, au regard de la fin de non-recevoir exprimée par le Medef et le gouvernement ». Et les AG du 25 septembre se sont prononcées pour une nouvelle grève reconductible : « Dans notre esprit, ce ne sont pas seulement vingt-quatre heures reconductibles, mais peut-être une grève illimitée ! C’est ce que l’on a proposé à toutes les raffineries car ce projet de réforme remet en cause les accords d’entreprise. Il faudra aller vers des arrêts d’unités ! » , menace Didier Bocquet.

Le ton est donc à la radicalisation, comme ailleurs. Fait notable, une ­lettre ouverte à l’intersyndicale du 29 juin « pour une grève générale jusqu’au retrait de la réforme des retraites », lancée avant la manifestation du 7 septembre, a recueilli près 10 000 signatures en quinze jours. Les bastions les plus radicaux du syndicalisme s’affichent désormais dans cet appel, dont les premiers signataires sont issus de la CGT, de la FSU, de Solidaires, de la CNT et d’organisations syndicales de Guadeloupe et de Martinique. Des noms connus y apparaissent, comme celui de Xavier Mathieu, délégué CGT et du comité de lutte Continental Clairoix, et celui de Jean-Pierre Delannoy, secrétaire régional CGT Métallurgie Nord-Pas-de-Calais, chef de file des contestataires de la ligne confédérale. On y retrouve aussi Philippe Wullens, secrétaire du syndicat SUD Chimie Total Dunkerque, qui s’était illustré dans le mouvement de grève contre la fermeture de la raffinerie de Dunkerque. Les raffineries ­ « veulent donner l’exemple », estime François Teyssier. « À nous d’imposer un rapport de force pour le retrait du projet de loi. Et c’est plutôt des grosses entreprises qui vont servir de locomotives. Traditionnellement, c’étaient des secteurs de la Fonction publique, notamment les cheminots. Il faut ­d’autres solutions ! »

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Mobilisation : quitte ou double ?
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