Israël : vers une situation d’apartheid

Reprise de la colonisation, affirmation du caractère juif de l’État, le gouvernement israélien cède sur toute la ligne aux plus extrémistes.

Denis Sieffert  • 21 octobre 2010 abonné·es
Israël : vers une situation d’apartheid

Ironie de l’histoire : au moment où, en France, des procès sont en cours contre des associations ou des personnalités accusées de « provocation à la discrimination raciale » pour avoir appelé au boycott des produits venus d’Israël (voir ci-contre), le gouvernement israélien renforce les aspects les plus discriminatoires de sa politique. Non seulement il vient de donner son feu vert à la poursuite de la colonisation de Jérusalem-Est, mais il vient également d’avaliser le principe d’une allégeance à Israël en tant qu’État juif de tous les non-juifs qui postulent à la nationalité. Cette disposition vise évidemment les musulmans, mais frappe aussi les chrétiens. Elle soulève l’indignation des Palestiniens, qui représentent 20 % de la population israélienne. Elle interdit de fait toute possibilité de retour de Palestiniens contraints à l’exil en 1947-1948, ou à leurs descendants.

Sur le principe, la définition d’une nationalité par l’allégeance à une religion défie évidemment les règles de la laïcité. C’est un pas de plus vers une situation d’apartheid à la sud-africaine, c’est-à-dire l’inscription d’une discrimination dans la loi israélienne. Quelque 63 % de la population israélienne approuveraient cette mesure, selon un sondage publié le 15 octobre par le principal quotidien du pays, Yedioth Aharonot , et 36 % seraient même favorables à une interdiction de vote pour les non-juifs. Les dirigeants israéliens voudraient donner raison à ceux qui, en France et dans le monde, appellent au boycott d’un pays qu’ils jugent en permanente infraction avec les droits de l’homme qu’ils ne s’y prendraient pas autrement.

En attendant que ce texte très polémique soit adopté, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou vient de fermer la porte à toute relance des négociations directes avec l’Autorité palestinienne en autorisant la construction de 238 logements réservés aux juifs de Jérusalem-Est. Le prolongement du moratoire de dix mois gelant la colonisation en Cisjordanie était la condition posée par l’Autorité palestinienne à la reprise d’un dialogue. À l’annonce de cette décision, le Département d’État américain s’est déclaré « déçu » par une décision « contraire à [ses] efforts » . Pour l’Autorité palestinienne, Saëb Erekat a condamné « fermement cette décision » , et appelé l’administration américaine « à tenir le gouvernement israélien pour responsable de l’effondrement du processus de paix » .

Auparavant, ­l’Autorité palestinienne avait officiellement demandé à l’administration américaine et au gouvernement israélien qu’ils lui fournissent une « carte de l’État juif » , en échange d’une reconnaissance de celui-ci. Une « contre-proposition » qui avait été jugée positive à ­Washington, mais avait été ignorée par Israël. Et pour cause ! Puisque l’on sait qu’Israël, dans le rêve des ultrasionistes, veut non seulement être reconnu comme État juif, mais aussi pouvoir continuer de coloniser jusqu’au Jourdain, qui sépare le territoire palestinien du royaume jordanien.

Devant cette situation de blocage, la Ligue arabe a accordé un mois à Washington pour régler ce différend. Au-delà de cette échéance, elle pourrait être amenée, selon le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, à demander à l’ONU de « reconnaître un État palestinien » . Ce qui poserait autrement la question des frontières du nouvel État palestinien. Derrière ces grandes et petites manœuvres, on pressent que le conflit israélo-palestinien est en train de changer de nature. Avec, en toile de fond, l’évolution du conflit vers une autre configuration dans laquelle les enjeux démographiques seront prédominants.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Rami Abou Jamous : « On a l’impression que parler de Gaza est devenu un fardeau »
Entretien 12 novembre 2025 libéré

Rami Abou Jamous : « On a l’impression que parler de Gaza est devenu un fardeau »

Un mois après le « plan de paix » de Donald Trump, le journaliste palestinien appelle les médias à ne pas abandonner Gaza, où les habitants sont entrés dans une phase de « non-vie ».
Par Kamélia Ouaïssa
En Cisjordanie occupée, les oliviers pris pour cibles
Reportage 10 novembre 2025 abonné·es

En Cisjordanie occupée, les oliviers pris pour cibles

Alors qu’Israël ne respecte pas le cessez-le-feu à Gaza, entré en vigueur le 10 octobre, la colonisation en Cisjordanie s’intensifie. Au moment de la récolte annuelle des olives, les paysans subissent les attaques violentes et répétées des colons, sous l’œil de l’armée israélienne.
Par Marius Jouanny
Moldavie : un programme pour reboiser un pays qui a perdu sa forêt
Reportage 10 novembre 2025 abonné·es

Moldavie : un programme pour reboiser un pays qui a perdu sa forêt

Considéré comme l’un des pays européens les plus vulnérables aux impacts du changement climatique et l’un des moins bien dotés en forêts, l’État moldave s’est embarqué il y a deux ans dans une aventure visant à planter des arbres sur 145 000 hectares.
Par Mathilde Doiezie et Alea Rentmeister
« Au Soudan, il faudra bien, tôt ou tard, imposer un cessez-le-feu »
Entretien 7 novembre 2025 abonné·es

« Au Soudan, il faudra bien, tôt ou tard, imposer un cessez-le-feu »

Clément Deshayes, anthropologue et chercheur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste du Soudan, revient sur l’effondrement d’un pays abandonné par la communauté internationale.
Par William Jean et Maxime Sirvins