Roman moderne

Jean-Claude Renard  • 14 octobre 2010 abonné·es

Dans l’histoire de l’art, Cluny se veut une prouesse architecturale du style roman. Prouesse démesurée. Qu’on s’explique : à l’orée du Xe siècle, Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, fonde l’abbaye de Cluny, dédie ses terres aux apôtres Pierre et Paul, soustrayant ainsi l’abbaye au pouvoir de l’évêque et des seigneurs laïcs. Bernon, premier abbé, est nommé, tandis que les moines suivent la règle bénédictine.

Si Cluny a la possibilité de réformer d’autres monastères, dans une Europe en quête de restructuration religieuse, l’abbaye vire en modèle, et nombre de monastères se placent sous son égide. Elle va très rapidement devenir une capitale spirituelle au rayonnement sans équivalent dans l’Occident médiéval. À partir de la seconde moitié du XIe siècle, elle connaît son apogée, avec près de 1 400 dépendances et environ 10 000 moines. Vers 1088, le nouvel abbé, Hugues de Semur, agrandit les bâtiments conventuels, invite dans le paysage une nouvelle église abbatiale, dite maior ecclesia , laquelle sera la plus vaste église de la chrétienté quatre siècles durant (jusqu’à la fondation de l’église Saint-Pierre à Rome).

Cent quatre-vingts mètres de long, des voûtes culminant à plus de 30 mètres, cinq nefs, un chœur multiple, un grand et un petit transepts, sept clochers et trois centaines de chapiteaux. Une succession de bâtiments et de restructurations suit au fil des siècles, jusqu’au mitan du XVIIIe, avec un vaste complexe de style classique. La Révolution sonne le glas. Les moines sont expulsés, les bâtiments saisis et vendus comme biens nationaux. Les acquéreurs transforment le chef-d’œuvre architectural en carrière de pierres. Il ne faut pas moins de vingt-cinq ans pour casser ­l’ensemble. Aujourd’hui, demeurent un grand et un petit transept, un mur d’enceinte et ses tours, des bâtiments conventuels, le cloître, le Farinier, construit au XIIIe siècle, les écuries des haras nationaux qu’occupaient les pèlerins depuis le XIIIe siècle. Moins de 10 % de l’espace originel. Des pans épars, non chargés de solennel, qui disent l’immensité des lieux.

Pour son onzième centenaire, l’abbaye s’est voulue fringante. Avec un nouveau visage. Des voûtes reconstruites, des transepts dégagés, la porte Richelieu redressée dans le cellier, des murs abattus poussant les galeries dans les perspectives d’origine, un ­cloître remis en valeur, une salle des chapitres décaissée, avec ses banquettes, ses arcs et son pavage… Un calvaire de terrassier marné dans le respect de l’histoire. De bâtiment historique, Cluny est devenu « monument historique ». À visiter. Coût des travaux : 23 millions d’euros, partagés entre l’État, le Centre des monuments nationaux, la Région, le département, la ville, l’Europe et un mécénat. Le toutim pour une restauration entamée en 2007 ( a priori finalisée en 2013), visant à recréer de la monumentalité sur des lieux rescapés (et, détail d’importance, sans créer de polémique dans la restauration).

Pour mieux imaginer la majesté du site, les nouvelles technologies se sont mises au service du patrimoine. Des installations, livrant une vision de ce que fut Cluny, ponctuent le circuit des visiteurs, comme une « réalité augmentée ». Un dispositif numérique réalisé à partir de fragments lapidaires, de dessins exécutés avant la démolition, de relevés archéologiques. Ces installations pourraient paraître un gadget. À cela près que ces technologies permettent aussi aux architectes et aux historiens de ­penser le Cluny de jadis. Et de déblayer les remblais, exhumer en fonction. Restituer une existence passée.

Culture
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